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le blog de jean-luc charlot
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le blog de jean-luc charlot
12 juin 2020

En attendant le rapport Piveteau-Wolfrom...

En novembre dernier, le Premier ministre confiait à messieurs Piveteau et Wolfrom une mission relative à la mise en oeuvre d’une stratégie nationale pour le déploiement à grande échelle de l’habitat inclusif. Prévu pour être remis fin mars, le rapport de cette mission sera connu, pour des raisons que l’on sait, à la fin de ce mois.

Attendu avec une certaine impatience par nombre d’acteurs qui oeuvrent depuis longtemps déjà à l’élaboration de formules alternatives d’habitat, ainsi que, peut-être, d’abord par les personnes concernées, ce rapport doit pouvoir répondre à quelques questions déterminantes de cet enjeu de l’habiter que notre expérience commune de « confinement » a permis de re-questionner. 

Notre impatience (la mienne en tout cas) tient dans l’attente d’une impulsion nouvelle que seraient susceptibles de produire les préconisations de ce rapport. Et pour être plus précis dans l’attente de deux clarifications essentielles.

1. La première concerne l’« objet » qu’il s’agit de déployer à grande échelle. Ou pour le dire autrement, une clarification sur ce dont l’habitat inclusif est (ou pourrait être) le nom. Clarification nécessaire dès lors que le mouvement de développement de formules d’habitat destinées aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées n’est pas exempt de controverses et de conceptions différentes de la place qu’elles assignent aux personnes concernées. L’avènement de l’ « habitat inclusif » comme catégorie d’action publique, depuis le Comité Interministériel du Handicap de décembre 2016 et particulièrement instrumenté par la promulgation d’un article de la loi ELAN, d’un décret et d’un arrêté et le lancement d’appels à projets par les ARS, n’a pas épuisé ce débat éminemment politique. Il a plutôt ajouté de la confusion à la confusion et, comme souvent, dans tout processus de « légalisation » d’initiatives et d’innovations, a conduit à un affaiblissement des raisons de militer pour la reconnaissance du droit de choisir son monde d’habitat, à une entrée d’acteurs non historiques moins exigeants sur la question de ce droit, à une réorganisation des alliances et à une ouverture à la globalisation normative des procédures (que les appels à projets des ARS ont déjà initiées). 

Pour schématiser cette première question (ce qui est aussi, je vous le concède, une manière de la brutaliser quelque peu), l’habitat inclusif désigne-t-il une concrétisation décisive du droit des personnes en situation de handicap et des personnes âgées à choisir le mode d’habitat qui convient le mieux à leurs besoins et aspirations à un moment donné de leur vie... ou la réalisation de « micro-institutions », imaginées selon l’esprit gestionnaire comme moins onéreuses que la réponse médico-sociale ?

2. La seconde clarification attendue concerne la démarche possible pour « déployer à grande échelle » cet habitat inclusif (qui est au fond, la question principale posée par le Premier ministre dans sa lettre de mission). Et, évidemment, je n’ignore pas que c’est aussi (avant tout ?) la clarification de la conception de ce qu’est (pourrait être) l’habitat inclusif qui conditionne la nature de cette démarche.

Mais quel est le problème qu’est censé résoudre cette stratégie nationale ? Celui de la production de solutions d’habitat s’apparentant à une situation où la demande est floue, l’offre partiellement inorganisée et le « produit » incertain. 

La politique publique de l’habitat, dans ses modalités technico-administratives actuelles (essentiellement déterminée par l’élaboration d’un cahier des charges visant à circonscrire un « produit » et des appels à projets ou à manifestation d’intérêt pilotés par les ARS) opère de simples ajustements entre les logiques fonctionnelles de l’Etat social (et des associations qui lui sont soumises), et les mondes vécus des personnes et des groupes sociaux concernés. 

Une telle approche fait l’impasse sur l’essentiel des besoins et des aspiration d’habitat aujourd’hui non ou mal satisfaits. Il existe en effet un écart entre la connaissance qu’ont les institutions des mondes sociaux et la réalité des mondes vécus des personnes concernées. Ce qui met en évidence la nécessité pour que des compromis rationnels soient possibles entre institutions et « mondes vécus », qu’existe des espaces de discussion (au sens d’Habermas) qui vont permettre des conditions d’inter-compréhension et une mobilisation subjective des personnes concernées dans cette confrontation. C’est au travers de tels processus itératifs d’énonciation des demandes et de qualification des besoins et des aspirations d’habitat que pourront être réintroduits les personnes en situation de handicap et les personnes âgées comme sujets de l’élaboration de ces solutions d’habitat. Une telle perspective de co-élaboration de l’offre et de la demande d’habitat, où non seulement les solutions d’habitat ne se « calquent » pas sur les ressources propres des promoteurs de projets ou sur leurs représentations de ce que serait (ou devrait être) l’habitat ; mais où elles se fondent avant tout sur les perceptions de ce qui « dysfonctionne » ou « malfonctionne » dans les mondes vécus des personnes concernées, tout en orientant les «inventions » nécessaires à la réalisation de ces solutions d’habitat. 

De tels processus de construction conjointe de l’offre et de la demande d’habitat ont pu être mis en oeuvre pour la réalisation de projets d’habitat, ici ou là, mais il convient désormais, dans une perspective de déploiement de ces solutions d’habitat, de proposer des modalités de régulation collective, territoriale et contractuelle de ces modes d’élaboration. Il s’agit de mettre en jeu les multiples acteurs parties prenantes de la question de l’habitat (y compris les personnes concernés) afin qu’ils s’entendent sur les règles de développement de ces formules d’habitat, leur définition et leur organisation et ce, sur un territoire qu’ils estiment cohérents (Département, métropole, agglomération...). 

La réussite de telles démarches repose sur la légitimité de celui ou celle qui va la piloter. Et sur sa capacité à maitriser les relations avec l’environnement (l’ensemble des systèmes socio-politiques et institutionnels du territoire) afin que s’organise un échange permanent entre les acteurs de la construction de ces solutions et leur environnement. Ces « animateurs locaux » de l’habitat devraient pouvoir s’adosser à une animation nationale où ils pourraient trouver un lieu d’échanges et de perfectionnement de leurs compétences, tout en y remontant les points de blocages rencontrés qui pourraient permettre d’élaborer la « boîte à outils » nécessaires aux promoteurs de projets.

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