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le blog de jean-luc charlot
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1 avril 2022

L’avènement de l’habitat inclusif comme catégorie d’action publique

Semaine Handicap et Citoyenneté- Université catholique de Lille- 2022. Mercredi 30 mars 2021.

 Journée thématique « Habitat, logiques inclusives et autonomie de vie »

 

L’avènement de l’habitat inclusif comme catégorie d’action publique : la forclusion de la cause de l’habitat des personnes en situation de handicap ?

 

« Les pouvoirs publics répondent moins à des problèmes pré-existants qu’ils ne les construisent » René Lenoir

 1. La forclusion est un terme emprunté au champ de l’économie industrielle dans la suite notamment des travaux de Patrick Rey et Jean Tirole (2007)1. De manière générale, la forclusion est définie comme la capacité d’une firme détenant un pouvoir économique sur un marché d’affecter par son comportement la structure d’un autre marché. Par analogie, je désigne ici par « forclusion », la capacité de l’Etat et de ses administrations d’affecter par leur comportement (discours et pratiques législatives et réglementaires), la cause de l’habitat des personnes en situation de handicap, en privilégiant une modalité d’habitat parmi d’autres possibles, à savoir ce qui est désigné par « habitat inclusif ».

 

2. Par ce processus, on assiste à une transformation de la question du choix du mode d’habiter qui convient le mieux à une personne selon ses besoins et ses aspirations à un moment donné de sa vie à l’imposition d’une vie sociale partagée avec le plus souvent des personnes vivant des situations supposées communes (âge ou handicap), que seules des circonstances étrangères ou involontaires ont créée. Faisant ainsi passer, comme par prestigiditation, cette question d’habitat, du temps des problèmes au temps de LA solution... Au point de sembler faire sombrer la plupart de ceux qui inventent des solutions d’habitat dans des abîmes de préoccupations surmoïques : « on est obligé de », « il faut faire comme ça » (proposer une vie sociale et partagée).

 Petite histoire de l’avènement de la catégorie d’action publique « habitat » inclusif »

 3. Il existe un avant « habitat inclusif ». Avant que de nommer une catégorie d’action publique, les termes d’« habitat inclusif » sont apparus récemment ; et sans doute, tout au moins dans le discours public, lors d’un colloque organisé à Paris, en mai 2016, par l’Association des Paralysés de France (APF), un colloque intitulé précisément « Colloque habitat inclusif. Antérieurement à cette dénomination, de nombreuses initiatives s’étaient multipliées depuis une quinzaine d’années, portées par les personnes handicapées elles-mêmes, par leurs proches ou bien par des associations qui, gèrant des établissements et services médico-sociaux, souhaitaient répondre aux aspirations à un autre mode de vie des personnes qu’elles accueillent ou accompagnent. 

Les dimensions souvent protéiformes de ces réalisations s’affrontaient à des obstacles juridiques et administratifs qui faisaient de l’élaboration de ces solutions de longs parcours du combattant, laissant les promoteurs de projets épuisés et parfois défaits. C’est à la demande de ces promoteurs de projets que les pouvoirs publics se sont progressivement emparés de cette question afin de tenter de lever les principaux obsctacles qu’ils pouvaient être amenés à rencontrer.

 4. La tenue du Comité Interministériel du Handicap (CIH) du 2 décembre 20162, à Nancy constitue sans aucun doute le premier acte politique de cette prise en compte des obstacles rencontrés par les promoteurs de projets d’habitat. Comme il signe l’origine de la création de la catégorie d’action publique « habitat inclusif ». De ce CIH sont issus les premiers éléments structuant la doctrine3 de l’habitat inclusif au travers d’un texte intitulé « Démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif pour les personnes en situation de handicap ». Une première définition de l’habitat inclusif est proposée au travers de trois caractéristiques :

1° L’habitat inclusif repose sur une organisation qui fait du lieu d’habitation de la personne en situation de handicap son logement personnel, son « chez soi »,

2° L’habitat inclusif conjugue, pour la personne en situation de handicap, la ré́ponse à̀ son besoin de logement et la ré́ponse à̀ ses besoins d’aide, d’accompagnement et, le cas échéant, de ce qu’il est convenu d’appeler la « surveillance »,

3° L’habitat inclusif vise toujours, en prenant en général appui sur la vie organisée à̀ plusieurs, une insertion active dans le voisinage, la vie de quartier, l’environnement de proximité́.

On remarquera que, si en préalable de ces éléments de définition, il n’avait pas été précisé que l’habitat inclusif se situait « à distance de l’accueil en é́tablissement comme du logement dans sa famille ou dans un habitat ordinaire totalement autonome », ces trois caractéristiques pourraient être tout aussi bien celles d’un établissement médico-social (pour peu que celui-ci organise un « chez soi » à chacun de ses résidents, ce qui était parfois le cas).

 5. L’installation officielle de l’Observatoire National de l’Habitat Inclusif4 eut lieu le 10 mai 2017. La page de présentation de cet Observatoire, sur le site de la Caisse Nationale de la Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), apporte quelques compléments à la définition de l’habitat inclusif : c’est « une réponse complémentaire au logement ordinaire et à l’hébergement en institution. Il s’agit généralement de petits ensembles de logements indépendants proposés aux personnes âgées ou aux personnes handicapées, associés à des espaces communs. Ils permettent de combiner vie autonome et sécurisation de l’environnement. Ils réunissent des personnes souhaitant s’intégrer dans un projet de vie spécifique, souvent à forte dimension citoyenne. Le terme « habitat inclusif » regroupe des organisations très diverses, mais qui présentent trois caractéristiques communes : une organisation qui fait du lieu d’habitation de la personne, son logement personnel, son « chez soi » ; la conjugaison de la réponse au besoin de logement et aux besoins d’aide, d’accompagnement et, le cas échéant, de « surveillance » ; l’insertion active dans la vie de quartier, l’environnement de proximité ».

6. Simultanément, prolongeant la feuille de route initiée par le CIH de décembre 2016, est décidé la mise en oeuvre du financement d’une structure expérimentale d’habitat inclusif par région. Une enveloppe de soixante mille euros sera versée à chaque ARS en 2017 (…) pour le financement d’une structure expérimentale d’habitat inclusif pour personnes handicapées. Une annexe permet de préciser que cette enveloppe est « destinée aux projets innovants et pourra être versée à un ESMS ou à une association support de l’expérimentation » et qu’elle doit permettre de « couvrir les frais liés à la coordination, la gestion administrative et la régulation de la vie collective ».

 7. Les administrations concernées étaient convaincues qu’il fallait inscrire l’habitat inclusif dans la loi pour en assurer définitivement le développement et que la loi portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN), alors en cours d’examen au parlement, représentait sans doute de seul « véhicule législatif » possible au cours du quinquennat pour le faire. Raison pour laquelle un amendement gouvernemental fut présenté au cours de la discussion parlementaire et y fut adopté. La définition retenue de l’habitat inclusif dans la loi est largement inspirée de celle qui prévalait pour la forme expérimentée dans chacune des régions et financée par les ARS, à savoir : « un petit ensemble de logements indépendants associés à des espaces communs auxquels est dédié un forfait pour le financement de la vie sociale ».

 8. En décembre 2019, le Premier ministre, Edourd Philippe, chargeait messieurs Wolfrom et Piveteau d’une mission visant à proposer une stratégie nationale pour le déploiement à grande échelle de l’habitat inclusif, mission qui devait aboutir à la remise de leur rapport en juin 2020, intitulé : « Demain, je pourrai choisir d’habiter chez vous ». Prolongeant l’esprit de la loi ELAN, les auteurs y dessinent les contours de ce qu’ils appellent l’habitat « accompagné, partagé et inséré dans la vie locale » (API) et proposent une boîte à outils juridico-administratifs aux fins de favoriser leur développement. En nommant l’habitat inclusif qui était l’objet de la commande du Premier ministre « logement Accompagné, Partagé et Inséré », les auteurs voulaient donner, à n’en pas douter, une impulsion, un nouvel élan à cette catégorie d’action publique en construction, mais aussi installer définitivement dans les imaginaires, la primauté du mode de vie partagée. Une vie partagée conçue comme le recours à l’isolement qui sera peut-être, selon les auteurs, le « sixième risque de la protection sociale5 », conviction qui les conduit à promouvoir cette forme d’habitat où l’on est « chez soi, mais sans être seul ». 

 9. Ce nouvel élan, souhaité par le rapport Piveteau-Wolfrom, a trouvé sa concrétisation en février 2021, où pas moins de quatre ministres6 ont installé le premier Comité de Pilotage de l’Habitat inclusif. La principale mesure (et pratiquement la seule retenue du rapport) qui y sera annoncée est l’« Aide à la Vie Partagée » (AVP), cette nouvelle prestation de l’action sociale départementale qui « sera octroyée à tout résident d'un Habitat inclusif dont le bailleur ou l'association partenaire a passé une convention avec le département.

 10. Par une succession de gestes politico-administratifs, ont été qualifiés et définis les contours de la catégorie d’action publique « habitat inclusif ». Comment, d’une demande de promoteurs de projets d’habitat aspirant à ce que les obstacles qu’ils rencontraient dans la réalisation de leurs projets soient levés, les pouvoirs publics ont répondu par la production et la diffusion d’une vision de la question de l’habitat des personnes en situation de handicap. Une vision qui, comme subrepticement, a façonné la manière de voir de nombre de porteurs de projets, puisque définir une politique et son objet, c’est définir dans le même mouvement la réalité sur laquelle cette politique est censée agir. Et que tracer les contours d’une catégorie d’intervention publique consiste aussi à promouvoir un mode de représentation particulier du problème qu’elle est censée résoudre.

 Les impensés de l’habitat inclusif

11. On peut faire l’hypothèse qu’un certain nombre d’impensés caractérisent désormais la proposition de la politique publique d’habitat inclusif. Nous en proposons ici un premier inventaire assurément non exhaustif, assurés que nous sommes que l’avenir de la vie de leurs habitants en ces lieux en dévoileront d’autres, à n’en pas douter, dans les années à venir...

12. L’impensé de la vie à plusieurs : vivre à plusieurs, mais avec qui ?

La question que pose cette injonction de la politique de l’habitat inclusif de vivre à plusieurs est, au fond, celle que posait le Comité national d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé dans un avis concernant les enjeux éthiques du vieillissement7 : quel sens donné à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dit d’hébergement ? Question qui vaut pour les personnes en situation de handicap également, et dont la problématique repose précisément sur le « entre elles ». 

 13. L’impensé de l’inclusif

La formule langagière « habitat inclusif » donne ainsi à penser que la solution d’habitat qu’elle désigne a pour fonction l’inclusion de ses habitants dans la société et laisse supposer, en conséquence, qu’ils étaient, avant que d’y habiter, en situation d’exclusion. La notion d’exclusion, dans son acception immédiate, est fondée sur une représentation spatiale de la société et de l’être-ensemble, qui induit la possibilité d’un « hors de la société ». Elle renvoie à l’idée d’une coupure franche entre deux mondes sociaux où les « exclus » seraient totalement retranchés du jeu social parce qu’ils n’auraient aucun des droits, des attributs et des ressouces nécessaires pour participer à la vie collective. Mais les personnes en situation de handicap ne sont pas hors de la société, elles sont dans la société, à une place qui leur est assignée cependant. 

Penser à partir de cette dicotomie inclusion/exclusion invite inévitablement à se demander ce que l’on peut faire pour les personnes handicapées et non ce qu’elles ont à dire et à revendiquer, elles. Parler d’inclusion à l’égard de personnes déjà présentes dans la société procède d’un mécanisme mental en surplomb qui fait d’abord sortir les personnes du cercle sociétal pour se demander ensuite comment les y faire entrer. Et c’est à travers ce prisme que s’est élaborée la politique publique de l’habitat inclusif où finalement l’inclusion est envisagée comme un état qui se satisferait du partage d’un même lieu que tout un chacun en vue de la normalisation de personnes comme habitant d’un quartier ou d’un village.

 14. L’impensé de la gouvernance de la politique publique de l’habitat inclusif

Sous la double contrainte des règles établies par les administrations centrales et de la technique de l’appel à projet comme procédure de choix des projets à retenir, les réalisations d’habitat inclusif tendent vers une uniformisation des modes de vies proposés. L’impensé de ce mode de gouvernance réside dans le fait qu’il marginalise ainsi une partie de ceux qui sont porteurs d’autres aspirations, d’autres orientations, d’autres demandes de modes de vie. Il invisibilise (et donc rend illégitime) ces aspirations, ces demandes et ces orientations, contribuant à renforcer le sentiment d’injustice sociale que perçoivent légitimement les personnes en situation de handicap. La forme de gouvernance choisie de cette politique publique met à distance les premiers concernés par son objet et font qu’ils sont le plus souvent parlés par ceux qui, pour eux, élaborent et mettent en oeuvre les solutions d’habitat.

 


1  Le lecteur curieux pourra trouver une première explicitation de cette notion dans l’article de David Encaouca : Pouvoir du marché, stratégie et régulation. Les contributions de Jean Tirole, HAL, 2014, pages 13-14

2 www.gouvernement.fr/comite-interministeriel-du-handicap-du-handicap-2-decembre-2016

 

3  Cet ensemble de principes et d'énoncés traduisant une certaine conception de la société et s'accompagnant de la formulation de modèles de pensée et de règles de conduite.

4 www.cnsa.fr/actualites-agenda/actualites/lobservatoire-de-lhabitat-inclusif-est-au-travail

 

5  Ibidem, page 9

6  Jacqueline Gourault, Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Emmanuelle Wargon, Ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, Brigitte Bourguignon, Ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargée de l’Autonomie et Sophie Cluzel, Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des Personnes handicapées

7  Avis n°128, 15 février 2018

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