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le blog de jean-luc charlot
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25 avril 2021

L’habitat inclusif, un enjeu sociétal qui se joue notamment dans la question de sa définition.

Intervention dans le cadre du point d’étape de l’instance ressource pour l’habitat inclusif, mis en oeuvre par le Département de Loire-Atlantique, le 23 avril 2021.

Une idée peut en cacher une autre...

La demande qui m’a été faite, aujourd’hui, concerne la définition des termes que l’on emploie pour nommer ce que nous avons à partager et, parfois, à mettre en oeuvre ensemble. En se remémorant l’idée que les mots sont bien plus que l’habillage d’une pensée mais qu’ils en sont les outils. Car c’est vrai que d’une certaine façon, il en va aujourd’hui des mots comme autrefois des trains aux passages à niveau : sur les rails de la langue, une idée peut en cacher une autre, alors autant y regarder à deux fois avant de traverser la voie. Et les mots sont comme du métal, ils sont forgés très vite et la collision, parfois, ne pardonne pas...

Avant de s’emparer de l’examen du terme « habitat inclusif », arrêtons-nous un instant, afin d’illustrer ce qui précède sur celui de « sociétal ». Mot qui figure dans le titre mon intervention et dont je me dédouane, un peu lâchement, certes, puisque je n’ai pas choisi ce titre...

On peut ainsi légitimement s’interroger pour savoir pourquoi désormais on préfère le mot « sociétal » à celui de « social » ? Pourquoi ce néologisme, mal formé, s’impose au point que même certains praticiens des sciences sociales acceptent d’abaisser le seuil ordinaire d’acceptabilité en matière de langage ? 

Une réponse possible nous ramène à mon histoire de train : c’est qu’une idée peut en cacher une autre. Le sociétal, c’est le social sans le conflit, le social moins les inégalités, le social moins le déséquilibre des rapports entre groupes et classes sociales au sein d’une société donnée, au fond, le sociétal est au social, ce que la gouvernance est au gouvernement...

Soit une façon de lisser la réalité, de rabattre la politique sur l’éthique et de faire exister, sous l’apparence d’un euphémisme ou d’une savante construction, l’expression doucereuse d’un cynisme d’époque...

 Le terme d’« habitat inclusif » phagocyte celui d’habitat... tout court

Pour revenir à ce qui nous réunit aujourd’hui, le terme d’habitat inclusif n’échappe pas à ces constats, particulièrement de celui qu’une idée peut en dissimuler une autre. Il existe, désormais, une définition législative et réglementaire de l’habitat inclusif, issu d’un cheminement politico-administratif qui va du Comité Interministériel du Handicap de décembre 2016 définissant une « Démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif pour les personnes handicapées », en passant par l’article 129 de la loi ELAN, suivi d’un décret, d’un arrêté qui définit un cahier des charges, ainsi que d’un lancement d’un appel à projets par les Agences Régionales de Santé, pour financer un forfait pour la vie sociale et partagée, jusqu’au récent dispositif de l’Aide à la Vie Partagée (AVP) dont les modalités de mises en oeuvre entre la CNSA et les Départements volontaires à expérimenter une phase dite « starter », se finalisent actuellement. 

Selon cette définition, l’habitat inclusif est donc un dispositif juridique et budgétaire qui circonscrit un petit ensemble de logements indépendants, comprenant des espaces communs et une forme de régulation de la vie sociale et partagée.

Mais cette définition est celle d’une catégorie d’action publique qui opère la forclusion de la notion d’habitat dans celle d’habitat inclusif. Empruntée à l’économie, et par analogie, on peut dire que le terme de forclusion désigne la capacité d’une idée communiquée par un certain pouvoir (ici le pouvoir législatif et réglementaire) de phagocyter, autrement dit d’absorber, une autre idée. Autrement dit, cette définition législative et réglementaire d’« habitat inclusif » est en train d’absorber celle d’habitat tout court...

L’habitat qui se définit, alors, d’abord et avant tout, comme un référentiel de valeurs et de principes, avec pour finalité que ces personnes (en situation de handicap ou âgées) vivent chez elles, dans la cité et puissent choisir leur mode d’habitat. Une définition, une conception qui s’appliquent à tous les lieux où vivent, où vivront à un moment donné de leur vie, ces personnes. Ce qui comprend donc aussi les établissements médico-sociaux. Une définition qui sous-tend une démarche impliquant de réfléchir, de penser avec les personnes concernées ce qu’habiter chez elles et dans la cité veut dire pour elles. Ce qui induit également, l’horizon d’une pluralité de formes et de formes possibles, sur chaque bassin de vie, afin qu’existe celle qui correspond le mieux à un moment donné de leur vie aux besoins et aspirations de telle ou telle personne.

Il existe donc réellement une opposition entre ces deux définitions, entre d’une part, une démarche de création d’une catégorie administrative supplémentaire et, d’autre part, une démarche de transformation profonde de notre façon de répondre à la question des souhaits, des besoins et aspirations des personnes en situation de handicap et des personnes âgées pour habiter chez elles et dans la cité.

Ce libre choix est conditionné, notamment, par l’existence d’une diversité de formules d’habitat sur un territoire, afin qu’il ne soit pas un choix par défaut, et par consentement véritable de la personne (et éventuellement de ses proches) : condition pour que la formule d’habitat choisie convienne aux besoins et aus aspirations des personnes concernées, saisis à un moment donné de leur vie.

J’évoquais en introduction l’idée que les mots sont bien plus que l’habillage d’une pensée, mais qu’ils en sont les outils. On pourrait ajouter que la pensée est l’outil nécessaire à l’action. Alors, si l’on retient pour définition celle d’une démarche de transformation profonde de notre façon de répondre aux souhaits de nos concitoyens âgés ou en situation de handicap d’habiter chez eux et dans la cité, comme nous invite, je crois, le Département de Loire Atlantique au travers de cette instance ressource, la condition principale de l’effectivité de cette démarche réside dans la méthode. Celle pour élaborer et réaliser les projets d’habitat, mais aussi celle des politiques publiques pour accompagner le développement de ces formules d’habitat.

Une méthode d’élaboration des projets d’habitat

Pour ce qui concerne la méthode d’élaboration et de réalisation de ces projets d’habitat, la première question à se poser est celle de savoir si on les réalise pour ces personnes ou bien avec elles ? 

Autrement dit, va-t-on adosser ces projets d’habitat à un travail d’élaboration, d’échanges et de confrontations de points de vue entre les promoteurs de ces projets et les futurs habitants ? Ou bien va-t-on reproduire des dispositifs existants, éventuellement aménagés à la marge ou des formules d’habitat que l’on a visitées et qui semblaient « bien fonctionner ». 

Faire avec les futurs habitants nécessite d’organiser des espaces et du temps pour mettre en discussion, en débat, en confrontation, cette question d’habitat, à la fois pour une nécessaire élaboration conjointe des formules d’habitat avec les personnes concernées, mais également avec tous les acteurs impliqués, de près ou de loin, par cette question, tant elle bouscule notre culture de la « prise en charge » des personnes, telle qu’elle s’est développée particulièrement en France. 

§ Des espaces et des temps pour les proches et les parents, afin qu’ils puissent considérer sereinement leur conception de la protection et de la sécurité de leurs descendants ou de leurs parents.

§ Des espaces et des temps pour les professionnels de l’accompagnement, afin qu’ils puissent reconsidérer leurs pratiques et leurs postures professionnelles.

§ Des espaces et des temps pour les professionnels de l’habitat (architecte, promoteurs, bailleurs), afin qu’ils puissent intégrer les agencements d’espaces et les équipements nécessaires dans leurs programmes immobiliers.

§ Des espaces et des temps pour les professionnels et les élus des collectivités, ainsi que les professionnels des agences régionales de santé (ARS) et des Départements, afin qu’ils puissent affirmer une doctrine sur cette question de l’habitat. C’est une nécessité pour ces acteurs institutionnels, notamment quand on songe que dans des appels à manifestation d’intérêt proposés par des ARS, visant à soutenir l’ingénierie de projets d’habitat inclusif, on peut encore y lire comme finalité « la création de places dans des logements ordinaires »... Une finalité dont il faut souligner la dimension pour le moins « oxymorique », révélant, une nouvelle fois, la confusion d’horizons qui enchâsse la question de l’habitat des personnes en situation de handicap. 

Par opposition à une approche technico-administrative, que suggèrent les politiques actuelles, une telle démarche engage une réflexion sur les conditions du libre choix du mode d’habitat des personnes en situation de handicap et sur les qualités désirables de cet habitat. 

Ce libre choix est conditionné, notamment, par l’existence d’une diversité de formules d’habitat sur un territoire, afin qu’il ne soit pas un choix par défaut, et par consentement véritable de la personne (et éventuellement de ses proches) : condition pour que la formule d’habitat choisie convienne aux besoins et aus aspirations des personnes concernées, saisis à un moment donné de leur vie.

De cette manière, les promoteurs de projets s’attachent à̀ « inventer » leur propre solution. L’expérience montre que ce processus d’« invention » d’une formule d’habitat permet, d’une part, de mieux répondre aux besoins et aux attentes des personnes concernées (par opposition à̀ la reproduction d’une formule existante pour laquelle les personnes devront s’adapter) et, d’autre part, s’accompagne d’un processus de partenarial local, qui est une condition de la pérennité de la formule d’habitat qui sera réalisée. 

Cette façon de réfléchir l’invention de solutions d’habitat permet également de penser l’amélioration des conditions de l’habiter au sein des établissements médico-sociaux, qui doivent demeurer un mode possible d’habitat. Pour peu qu’il soit librement choisi et qu’il propose un véritable « chez-soi ».

Une méthode pour les politiques publiques ?

Les méthodes des politiques publiques mises en œuvre par l’État et ses services, par les collectivités locales et territoriales et les agences régionales de santé, et visant à accompagner et, si possible, à faciliter la réalisation de ces formules d’habitat, sont également déterminantes. Par analogie et par acquis des enseignements de la politique de la ville, on peut souligner la nécessité pour l’État et ses services d’abandonner (ou tout au moins de minimiser) son rôle « normalisateur », qui définit par la loi et le règlement ce qui est permis, autorisé ou, au contraire, interdit. Pour plutôt lui substituer un rôle d’« animateur » qui ouvre et anime une scène locale de débat public, où il s’agit moins de consulter les citoyens concernés avant les décisions, que de les impliquer dans la mise en œuvre des orientations définies.

Le principal reproche, en effet, que l’on puisse faire à l’approche »normalisatrice » est qu’elle fait l’imapsse sur l’essentiel des besoins et des aspirations d’habitat des personnes handicapées et des personnes âgées, aujourd’hui non ou mal sarisfaits.

Cette « impasse » est due, notamment, à l’écart qui existe entre la connaissance qu’ont les institutions1 des mondes sociaux et la réalité des mondes vécus (des mondes de la vie) des personnes concernées. Cette connaissance qu’ont les institutions, notamment des personnes handicapées, s’incarne, en effet, dans des règles, des procédures et des instruments de formalisation, issus bien souvent du droit, qui sont de ce fait, porteurs de savoirs abstraits et généraux sur les comportements des acteurs ou les ensembles sociaux sur lesquels ils entendent agir2. Et si leurs instruments de rationalisation, qu’ils soient comptables ou gestionnaires, en tant que catégories d’entendement, sont porteurs de sens, ce sens demeure abstrait et général...

Cette distorsion des connaissances nécessite, si l’on veut que des compromis rationnels soient possibles entre ces institutions et les « mondes vécus », qu’existent des espaces de discussion3 qui vont permettre des conditions d’inter-compréhension et une mobilisation subjective des personnes concernées dans cette confrontation. C’est au travers de tels processus itératifs d’énonciation, d’explicitation des demandes sociales et de qualification des besoins et des aspirations d’habitat que pourront être réintroduits les personnes en situation de handicap comme sujets de l’élaboration de ces solutions. 

Dans une telle perspective de co-élaboration de l’offre et de la demande d’habitat, les solutions d’habitat ne se « calquent » plus sur les ressources propres des promoteurs de projets, largement déterminées par les prescriptions réglementaires ou sur leurs représentations de ce que serait ou devrait être un « bon » habitat. Elles se fondent avant tout sur les perceptions de ce qui « dysfonctionne » ou « malfonctionne » dans les mondes vécus des personnes concernées, tout en orientant les « inventions » nécessaires à la réalisation de ces solutions d’habitat.

De tels processus ont pu être mis en œuvre, au cas par cas, pour la réalisation de certaines des initiatives qui se sont multipliées depuis une quinzaine d’années. Mais il convient désormais, dans une perspective de déploiement de ces solutions d’habitat, de proposer des modalités de régulation collective, territoriale et contractuelle de ces modes de construction. Il s’agit de mettre en jeu les multiples acteurs parties prenantes de la question de l’habitat (y compris les personnes concernés), afin qu’ils s’entendent sur les règles de développement de ces formules d’habitat, leur définition et leur organisation et ce, sur un territoire qu’ils estiment cohérents (un Département, une métropole, une agglomération...). La réussite de telles démarches repose sur la légitimité de celui ou celle qui va la piloter. Et sur sa capacité à maîtriser les relations avec l’environnement (l’ensemble des systèmes socio-politiques et institutionnels du territoire), afin que s’organise un échange permanent entre les acteurs de la construction de ces solutions et leur environnement.

Mais si cette démarche esquisse les contours de ce que pourrait être une « politqiue de l’offre », il n’en reste pas moins nécessaire de développer simultanément une « politqiue de la demande ». Il n’existe, en effet, actuellement, pas ou peu de lieux pouvant répondre (ou seulement de manière partielle quand ils existent) à une personne en situation de handicap ou âgée et/ou des proches qui expriment un besoin et une aspiration à habiter autrement que dans leur famille ou en institution. La « Maison de l’Habitant », qui existe, ici à Nantes, pour donner un conseil complet et personnalisé sur le logement à la population, pourrait être mobilisée sur ce sujet de l’habitat des personnes en situation de handicap et des personens âgées, afin de répondre et les accompagner dans leurs demandes.

J’en arrête là. Après ces quelques repères que je voulais vous livrer aujourd’hui sur l’habitat comme enjeu de société (et non sociétal), qui se joue notamment, aussi, au travers de la question de la définition des termes que l’on emploie et qui sont, vous l’aurez peut-être retenu, un peu comme les trains...


1  Il s’agit des instances, par ailleurs fort nombreuses et fragmentées, de la gouvernance de la politique du handicap, qu’elles soient nationales (DGCS, CIH...) ou plus territoriales (ARS, MDPH...).

2  Cette impersonnalité étant la garantie de la neutralité des organisations bureaucratiques, affirmait Max Weber.

3  Au sens que lui donne Jürgen Habermas, comme le lieu dans lequel les idées circulent et sont discutées de manière rationnelle.

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