Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

le blog de jean-luc charlot

le blog de jean-luc charlot
Publicité
le blog de jean-luc charlot
8 avril 2023

Colloque URIOPSS des Pays de Loire : "De l'habitat inclusif à l'habitat autrement ?

Quelques éléments de contexte

S’il agit de qualifier le contexte dans lequel se pose la question de l’habitat des personnes handicapées et des personnes âgées que la journée d’aujourd’hui propose d’interroger, sans doute faudrait-il inverser les termes du titre qui a été choisi...

Et affirmer que le mouvement de l’histoire semble putôt celui qui conduit de l’habiter autrement vers l’habitat inclusif...Tant ce mode d’habitat, dénommé « habitat inclusif », porté par une politique publique, pour le moins offensive, semble avoir forclos cette question d’habitat. Autrement dit, affirmer que l’Etat et ses administrations ont transformé cette question de l’habitat par leurs discours et pratiques réglementaires et législatives, en privilégiant une modalité, parmi d’autres possibles, une modalité d’habitat adossée à la notion de « vie sociale et partagée ».

L’Etat et ses administrations ont transformé la question-problème que l’on pourrait formuler ainsi : « comment favoriser le choix d’un mode de vie qui convient le mieux aux besoins et aux aspirations d’une personne handicapée ou d’une personne âgée à un moment donné de sa vie », en une (LA ?) solution imaginée à partir de catégories d’action publique déjà identifiées, comme les pensions de familles ou les résidences-accueil par exemple, en les rénommant et en les réaménageant à la marge... Autant dire passer de l’habiter autrement à l’habitat inclusif. 

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, un rapide retour historique s’impose. Rapide parce qu’il s’agit simplement de vous remettre en mémoire ce que la plupart d’entre vous connaissent déjà.

Tout d’abord, rappelons-nous qu’il existe un avant « habitat inclusif »...

Avant que de nommer une catégorie d’action publique, les termes d’« habitat inclusif » sont apparus, tout au moins dans le discours public, lors d’un colloque organisé à Paris, en mai 2016, par l’Association des Paralysés de France (APF), un colloque intitulé précisément « Colloque habitat inclusif ».

Un « habitat inclusif » présenté alors comme devant « favoriser l’exercice de la citoyenneté́ et prendre en compte l’environnement de la personne ; et nécessitant pour cela de dépasser le cadre actuel du secteur médico-social ».

Antérieurement à cette dénomination, de nombreuses initiatives s’étaient multipliées depuis une quinzaine d’années, portées par les personnes handicapées ou des personness âgées elles-mêmes, par leurs proches ou bien par des associations qui, gérant des établissements et services médico-sociaux, souhaitaient répondre aux aspirations à un autre mode de vie des personnes qu’elles accueillaient ou accompagnaient. 

Des initiatives que j’ai qualifié dans un ouvrage (Le pari de l’habitat) de « bricolage social local », pour montrer leur dimension d’ « invention », celle de leur intégration à un tissu local et d’agencements de solutions partenariales. Des initiatives qui se proposaient de créer les conditions pour que ces personnes vivent chez elles et dans la cité et ce, en agençant des dispositifs de droit commun (logement, modalités de location, services et modalités d’accompagnement des situations de vie et de handicap, etc.).

Les dimensions souvent protéiformes de ces réalisations s’affrontaient à des obstacles juridiques et administratifs qui faisaient de l’élaboration de ces solutions de longs parcours du combattant, laissant les promoteurs de projets épuisés et parfois défaits. 

C’est à la demande de ces promoteurs de projets que les pouvoirs publics se sont progressivement emparés de cette question afin de tenter de lever les principaux obstacles qu’ils pouvaient être amenés à rencontrer.

La tenue du Comité Interministériel du Handicap du 2 décembre 2016, à Nancy constitue sans aucun doute le premier acte politique de cette prise en compte des obstacles rencontrés par les promoteurs de ces projets d’habitat. Comme il signe l’origine de la création de la catégorie d’action publique « habitat inclusif ».

De ce CIH sont, en effet, issus les premiers éléments structurant la doctrine de l’habitat inclusif au travers d’un texte intitulé « Démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif pour les personnes en situation de handicap ».

Une définition de l’habitat inclusif y est proposée au travers de trois caractéristiques :

1° L’habitat inclusif repose sur une organisation qui fait du lieu d’habitation de la personne en situation de handicap son logement personnel, son « chez soi »,

2° L’habitat inclusif conjugue, pour la personne en situation de handicap, la réponse à̀son besoin de logement et la réponse à̀ses besoins d’aide, d’accompagnement et, le cas échéant, de ce qu’il est convenu d’appeler la « surveillance »,

3° L’habitat inclusif vise toujours, en prenant en général appui sur la vie organisée à plusieurs, une insertion active dans le voisinage, la vie de quartier, l’environnement de proximité.

Le texte précise la stratégie nationale proposée pour aider au développement de ces formules, au travers de douze mesures dont on peut retenir celles :

- d’installer un observatoire de l’habitat inclusif, chargé de l’animation territoriale et de la diffusion de pratiques inspirantes. En lien avec les différents acteurs, il sera chargé de la formalisation d’outils pour promouvoir le développement de formules d’habitat inclusif

- de créer une aide spécifique forfaitaire par structure d’habitat inclusif, expérimentale dans la perspective d’une généralisation. Une aide destinée à compléter les montants de la prestation de compensation du handicap des personnes vivant en habitat inclusif afin de couvrir les frais liés à la coordination, la gestion administrative et la régulation de la vie collective. 

 L’étape suivante est concrétisée par l’article 129 de la loi portant sur évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), complétée par la publication de l’Instruction interministérielle relative aux modalités de mise en œuvre du forfait pour l’habitat inclusif. Rappelons au passage que dans la même loi, et simultanément, on abaisserait l’obligation de 100% logements accessibles à 20% dans les constructions neuves...

Quoi qu’il soit, ce façonnage légistif et réglementaire arrime définitivement au centre de la conception de l’habitat inclusif la proposition de son financement sur une unique dimension : l’animation de la vie sociale et partagée. Privilégiant, ainsi, le développement d’un type de formule d’habitat, celle précisément proposant une dimension collective signifiante, traduit par la notion de « vie sociale et partagée » et dont l’obligation de proposer des locaux communs aux habitants, ainsi que la définition des missions de l’animateur de cette vie sociale et partagée, dont fait état l’instruction, la détermine. Un encadrement réglementaire et normatif qui tendra, ainsi, à réifier l’objet « habitat inclusif » et à faire peser le risque de circonscrire l’inventivité des promoteurs de projets qui vont, la plupart du temps, se conformer à cette « définition », afin d’espérer un financement désormais identifié. 

 Et pour conclure ce tour d’horizon historique, en décembre 2019, le Premier ministre, Edourd Philippe, chargeait messieurs Wolfrom et Piveteau d’une mission visant à proposer une stratégie nationale pour le déploiement à grande échelle de l’habitat inclusif, mission qui devait aboutir à la remise de leur rapport en juin 2020, intitulé : « Demain, je pourrai choisir d’habiter chez vous ». Prolongeant l’esprit de la loi ELAN, les auteurs y dessinent les contours de ce qu’ils appellent l’habitat « accompagné, partagé et inséré dans la vie locale » (API) et proposent une boîte à outils juridico-administratifs aux fins de favoriser le développement de ce type de logements. 

La principale mesure (et pratiquement la seule retenue du rapport) qui y sera annoncée est l’« Aide à la Vie Partagée » (AVP), cette nouvelle prestation de l’action sociale départementale qui « est octroyée à tout résident d'un habitat inclusif dont le bailleur ou l'association partenaire a passé une convention avec le Département. Ces conventions d’AVP signées avec les Départements étant cofinancées à hauteur de 80% par la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie (CNSA), tout au moins aujourd’hui, puisqu’une dégressivité du financement de la Caisse est annoncée.

 Rappelant ces éléments de contexte, suis-je en train de bannir ou de vilipender la modalité d’habitat qu’est l’habitat inclusif ?

 

Il n’en est rien, évidemment. Je conçois tout à fait qu’une personne en situation de handicap ou yne personne âgée puisse choisir, à un moment donné de sa vie et pour des raisons qui lui appartiennent, un mode de vie où lui soit proposé de partager des moments et des espaces en commun avec d’autres habitants. 

Pour peu qu’il y dispose d’un véritable chez-soi et que ceux qui sont chargés de l’animation de cette « vie sociale et partagée » soient attentifs à ce que les habitants puissent y gouverner leur temps. Certaines réalisations, dites d’habitat inclusif mettent en oeuvre de telles qualités où l’être-à-plusieurs permet de conforter les choix des habitants, facilite leur réalisation, tout en assurant leur bien-être. Je le sais pour connaître certaines de ces réalisations et pour en avoir accompagner certaines.

Ce qui demeure problématique est que la politique publique de l’habitat inclusif impose ce mode d’habitat comme LA solution. A laquelle la plupart des promoteurs de projets d’habitat semblent consentir désormais. 

Soit parce que la proposition d’un projet de vie communautaire et fraternel ou aspirant à créer une ambiance « familiale » est le modèle de ce qu’il pense être la « vie bonne ». 

Soit parce qu’élus de collectivités locales, ils ont été convaincus par l’Agence nationale de la cohésion des territoires et le financement promis par le programme « Petites villes de demain », qu’il y avait là une chance pour dynamiser leur centre-ville ou centre-bourg. 

Soit parce qu’ils veulent rompre avec les codes du médico-social qu’ils estiment enkystés et ainsi proposer des alternatives aux pratiques renouvelées.

Soit parce qu’ils se saisissent de ce mode de financement pour pouvoir faire exister leur projet en modifiant ce qu’il faut du projet initial pour le faire devenir habitat inclusif. Soit parce qu’ils ont saisi combien l’habitat inclusif pouvait ressembler à un produit facilement duplicable et qu’ils ont monté leur petite entreprise... qu’elle soit ou non à but lucratif.

Cette politique « est un succès », comme le répètent les ministres concernés lors des successifs comités de pilotage de l’habitat inclusif et les représentants des administrations centrales lors des séances plénières de l’Observatoire National de l’Habitat Inclusif. Tout au moins selon le score des indicateurs retenus pour l’évaluer : le nombre de Départements engagés dans la démarche (95), le nombre d’habitat inclusif ayant fait l’objet d’un financement (1850) et le nombre de personnes hébergées dans ces formules d’habitat (18500). 

Cette politique est un succès, mais, au delà des nombreux freins juridico-adminsitratifs que sa mise en oeuvre affronte (et dont le dernier avatar semble bien celui de la question de la sécurité incendie), freins qui avaient pourtant bien été identifiés dans le rapport Piveteau-Wolfrom, n’a pas dégagé les moyens financiers nécessaires pour assurer les investissements et la pérennité du fonctionnement de ces habitats inclusifs, ce qui n’est pas sans poser des interrogations redondantes aux gestionnaires de ces lieux. 

Cette politique est un succès, mais elle n’épuise pas les besoins et les aspirations des personnes qui souhaitent habiter autrement... A côté des formules d’habitat inclusif, il nous faut inventer et mettre en oeuvre des démarches et des réalisations qui leur conviennent, les inventer et les mettre en oeuvre, sans doute, un peu plus qu’on ne le fait avec elles, plutôt que pour elles...

Autrement dit, il faut à côté de l’habitat inclusif, inventer et mettre en oeuvre des manières d’habiter autrement...

ça tombe bien, je crois qu’il s’agit du sujet principal de cette journée qui nous réunit !

 

 

Publicité
Publicité
3 avril 2023

habitat inclusif et réglementation de la sécurité incendie

Un (petit) vent de panique s’est emparé, ces jours-ci, du (petit) monde de l’habitat inclusif. En cause, un référé du Conseil d’Etat en date du 23 février dernier, qui rappelle la réglementation de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP) de type J (locaux à sommeil pour personnes âgées ou handicapées) de cinquième catégorie. Réglementattion qui, selon le juge des référés du Conseil d’Etat, s’adossant aux articles R-143-3 et suivants du Code de la Construction et de l’Habitation s’applique dès lors que dorment plus de six personnes.
D’où un certain affolement pour tous les acteurs de l’habitat inclusif qui en infèrent les surcoûts des aménagements, des équipements particuliers et ceux liés à la nécessaire présence permanente d’un agent dédié que suppose la mise en conformité avec cette réglementation si elle devait s’imposer et cette ordonnance faire jurisprudence. Qui dit affolement, dit mobilisation, tant des administrations qui promeuvent ce mode d’habitat, que des réseaux de promoteurs de ces projets et qui formulent une première ébauche d’argumentaires.
L’argument principal est de revendiquer l’habitat inclusif comme un mode d’habitat « à part » et, pour celà, l’exonérer de toute possibilité d’assimiliation à un ERP... L’article 129 de la loi Elan, complété de du décret du 24 juin 2019 et le dispositif de l’aide à la vie partagée (AVP) suffisent-ils à définir un mode d’habitat singulier ? Quoi de commun, en effet, entre un appartement partagé par plusieurs co-locataitres, un petit immeuble de studios réservés à des personnes âgées ou handicapées ou des logements diffus dans un immeuble ou un quartier ? Hormis le fait que sont proposées à ces habitants des modalités de vie sociale et partagée. Quoi de commun, surtout, en matière de risques d’incendie et de panique dans ces différentes modalités d’habitat pourtant identifiées chacune comme « habitat inclusif » ? Un tel argument n’est pas recevable.
Il faut raison garder. Et prendre ce référé comme un rappel à ce que nous avons, peut-être, un peu négligé jusqu’ici. Portés par l’enthousiasme de favoriser la vie des personnes âgées et handicapées dans la Cité (citoyens parmi les citoyens), nous avons, sinon négligé, tout au moins minoré, certaines de leurs singularités de vie et de situation et les conséquences qu’il faudrait en tirer pour assurer cette vie en toute sécurité. S’il ne faut, sans doute pas, reclasser tous les immeubles d’habitation où vivent plus de six personnes âgées ou handicapées en ERP de type J, il nous faut reconsidérer sérieusement, avec les professionnels de la sécurité incendie, les aménagements et les équipements nécessaires aux habitats susceptibles d’être ceux de personnes âgées et handicapées et ce, afin d’assurer leur sécurité.
Si vivre chez soi et dans la cité est un droit, son effectivité réclame que ce soit en sécurité...
 

6 octobre 2022

Intervention dans le cadre du colloque « Habitat inclusif . Posons, ensemble, les première pierres !» du 4 octobre à Brest.

1. Je vous propose de rythmer cette intervention en trois mouvements.

D’abord vous retracez rapidement la courte histoire de cette catégorie d’action publique qu’est l’habitat inclusif.

Ensuite, réfléchir à ce qu’habiter peut vouloir dire et en quoi il diffère d’êter logé ou de simplement résider

Et enfin, vous soumettre deux interrogations concernant la dimension de la vie sociale et partagée qui caractérise cette forme d’habitat qu’est l’habitat inclusif. 

2. Une courte histoire de l’habitant inclusif

Avant que de nommer une catégorie d’action publique, les termes d’« habitat inclusif » sont apparus lors d’un colloque organisé à Paris, en mai 2016, par l’Association des Paralysés de France (APF), un colloque intitulé précisément « Colloque habitat inclusif » . Un « habitat inclusif » présenté alors comme devant « favoriser l’exercice de la citoyenneté́ et prendre en compte l’environnement de la personne ; et nécessitant pour cela de dé́passer le cadre actuel du secteur mé́dico-social ».

Antérieurement à cette dénomination, de nombreuses initiatives s’étaient multipliées depuis une quinzaine d’années, portées par les personnes handicapées elles-mêmes, par leurs proches ou bien par des associations qui, gérant des établissements et services médico-sociaux, souhaitaient répondre aux aspirations à un autre mode de vie des personnes qu’elles accueillent ou accompagnent. 

Des initiatives que j’ai qualifié dans un ouvrage (Le pari de l’habitat) de « bricolage social local », pour montrer leur dimension d’ « invention », celle de leur intégration à un tissu local et d’agencements de solutions partenariales. Des initiatives qui se proposent de créer les conditions pour que ces personnes âgées ou en situation de handicap, vivent chez elles et dans la cité et ce, en agençant des dispositifs de droit commun (logement, modalités de location, services et modalités d’accompagnement des situations de vie et de handicap, etc.). Leurs promoteurs désignaient alors, en ces temps d’avant l’habitat inclusif, ces réalisations par les termes d’habitat regroupé, d’habitat partagé, d’habitat alternatif, d’habitat éclaté, d’habitat intermédiaire... ou ne les nommaient pas. Elles ont donné lieu à un foisonnement de solutions d’habitat, caractérisé par la diversité de leurs formes, qu’elles soient architecturales, de portage immobilier, de conditions de vie (de la plus indépendante à la plus communautaire, en passant par toutes les nuances possibles de dimensions collectives), de modalités d’accompagnement des situations de vie et de handicap de leurs habitants...

Les dimensions souvent protéiformes de ces réalisations s’affrontaient à des obstacles juridiques et administratifs qui faisaient de l’élaboration de ces solutions de longs parcours du combattant, laissant les promoteurs de projets épuisés et parfois défaits. C’est à la demande de ces promoteurs de projets que les pouvoirs publics se sont progressivement emparés de cette question afin de tenter de lever les principaux obsctacles qu’ils pouvaient être amenés à rencontrer.

La tenue du Comité Interministériel du Handicap (CIH) du 2 décembre 2016, à Nancy, constitue sans aucun doute le premier acte politique de cette prise en compte des obstacles rencontrés par les promoteurs de projets d’habitat. Comme il signe l’origine de la création de la catégorie d’action publique « habitat inclusif ».

De ce CIH sont issus les premiers éléments structuant la doctrine de l’habitat inclusif au travers d’un texte intitulé « Démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif pour les personnes en situation de handicap ». Un texte dans lequel, une définition de l’habitat inclusif est proposée au travers de trois caractéristiques :

1° L’habitat inclusif repose sur une organisation qui fait du lieu d’habitation de la personne en situation de handicap son logement personnel, son « chez soi »,

2° L’habitat inclusif conjugue, pour la personne en situation de handicap, la ré́ponse à̀ son besoin de logement et la ré́ponse à̀ ses besoins d’aide, d’accompagnement et, le cas échéant, de ce qu’il est convenu d’appeler la « surveillance »,

3° L’habitat inclusif vise toujours, en prenant en général appui sur la vie organisée à̀ plusieurs, une insertion active dans le voisinage, la vie de quartier, l’environnement de proximité́.

Cette définition étant posée, le texte précise un certain nombre de mesures pour accompagner ces formules d’habitat, dont :

- la création d’un observatoire national de l’habitat inclusif, chargé́ de l’animation territoriale et de la diffusion de pratiques inspirantes...

- la création d’une aide spécifique forfaitaire par structure d’habitat inclusif, expérimentale dans la perspective d’une gé́néralisation.

Les administrations concernées étaient convaincues qu’il fallait inscrire l’habitat inclusif dans la loi pour en assurer définitivement le développement et que la loi portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN), alors en cours d’examen au parlement, représentait sans doute de seul « véhicule législatif » possible au cours du quinquennat pour le faire. Raison pour laquelle un amendement gouvernemental fut présenté de manière un peu improvisée, au cours de la discussion parlementaire et y fut adopté, La définition retenue de l’habitat inclusif dans la loi est largement inspirée de celle qui prévalait pour la forme expérimentée dans chacune des régions et financée par les ARS, à savoir : « un petit ensemble de logements indépendants associés à des espaces communs auxquels est dédié un forfait pour le financement de la vie sociale ».

La loi votée et promulguée, la concertation s’est poursuivie au travers de l’Observatoire national de l’habitat inclusif, notamment à propos du décret d’application et de la rédaction du cahier des charges national définissant notamment le projet de vie sociale et partagée qui constitue désormais une dimension normative de la définition de l’habitat inclusif. Les associations tentant d’infléchir à la marge la définition désormais inscrite dans la loi aux fins de ne pas exclure de cette définition des formules d’habitat qui s’inventent ou qui existent déjà, mais qui ne correspondent pas à cette définition. Ainsi que pour atténuer la dimension de « microstructure » ou de « micro-établissement » qu’induit inévitablement la définition retenue, réussissant à faire ajouter, par exemple, à la phrase « l’habitat inclusif doit également permettre l’utilisation d’un ou plusieurs locaux communs », les termes « en son sein ou à proximité », afin de suggérer et peut-être d’inviter à un peu plus de participation à la vie de la Cité, ce que le terme « inclusif » suggère, mais que la présence de locaux à usage des personnes concernées, au sein des formules d’habitat, paraît contredire ou tout au moins atténuer. 

En décembre 2019, le Premier ministre, Edourd Philippe, chargeait messieurs Wolfrom et Piveteau d’une mission visant à proposer une stratégie nationale pour le déploiement à grande échelle de l’habitat inclusif, mission qui devait aboutir à la remise de leur rapport en juin 2020, intitulé : « Demain, je pourrai choisir d’habiter chez vous ». Prolongeant l’esprit de la loi ELAN, les auteurs y dessinent les contours de ce qu’ils appellent l’habitat « accompagné, partagé et inséré dans la vie locale » (API) et proposent une boîte à outils juridico-administratifs aux fins de favoriser le développement de ce type de logements. Il s’agit d’un rapport dense, un peu « austère » de l’avis même des auteurs dans leur introduction, riche de solutions susceptibles de favoriser la réalisation de certaines formules d’habitat. Fort de son ambition affichée d’être concret et pratique, le rapport développe douze idées d’actions, étoffées chacune, de propositions qui répondent aux freins rencontrés par les promoteurs de projets auditionnés par les auteurs et leur équipe. 

Ce nouvel élan, souhaité par le rapport Piveteau-Wolfrom, a trouvé sa concrétisation en février 2021, où pas moins de quatre ministres ont installé le premier Comité de Pilotage de l’Habitat inclusif. La principale mesure (et pratiquement la seule retenue du rapport) qui y sera annoncée est l’« Aide à la Vie Partagée » (AVP), cette nouvelle prestation de l’action sociale départementale qui « sera octroyée à tout résident d'un habitat inclusif dont le bailleur ou l'association partenaire a passé une convention avec le Département. Les conventions d’AVP signées avec les Départements étant cofinancées à hauteur de 80% par la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie (CNSA). 

Nous en sommes là, nous, c’est à dire ceux et celles qui veulent élaborer et mettre en oeuvre des formules d’habitat pour les personnes en situation de handicap ou les perosnnes âgées. Disposant d’un cadre juridico-réglementaire, d’une modalité de financement pour la fonction d’animation de la vie sociale et il faut bien le dire d’une forte incitation des pouvoirs publics à orienter ces solutions d’habitat vers cette forme-là qui ne demeure qu’une forme possible parmi d’autres. 

3. Ce qu’habiter veut dire

Ce que je voudrais vous dire aujourd’hui, c’est qu’avant de s’interroger sur la façon dont vous allez résoudre les questions, disons « technico-administratives » de solutions d’habitat qu’il s’agit de concevoir et de mettre en oeuvre (quel type de logement, quels modes d’accompagnement des personnes envisager, quel financement, etc.), questions essentielles bien évidemment, je pense qu’il faut s’arrêter, en premier lieu, sur ce qu’ « habiter » veut dire, sur ce qui constitue un « chez soi », et sur ce que Gaston Bachelard nomme « la maison ». Une maison n’est que la preuve que pour dire « je », nous avons besoin d’un monde, d’un espace environnant, de choses, de personnes qui conspirent avec nous et avec lesquelles nous conspirons... Bachelard proposait, ainsi, de ne pas considérer la maison comme un objet comme les autres, qu’il s’agirait simplement de décrire, mais qu’il fallait penser comme notre « coquille initiale », ceci afin de comprendre comment nous nous enracinons jour après jour dans un coin du monde, grace à notre maison.

Car l’ambition que nous devons porter au travers de cette question d’habitat est d’abord celle d’imaginer des « chez-soi » pour et avec les personnes handicapées et les personnes âgées. Autrement dit, d’admettre qu’il ne s’agit pas simplement de proposer de nouveaux modes d’hébergement, mais bien de contribuer, par ce moyen qu’est l’habiter, à inscrire les personnes handicapées et les personnes âgées au centre du pacte républicain, non comme une marge méritant compassion, mais comme des personnes ayant les mêmes droits que les autres.

Aussi, la question initiale à se poser quand on imagine ou pense à une solution pour habiter est celle de savoir ce qui caractérise un « chez-soi ». Au moins trois dimensions peuvent être mobilisées pour le circonscrire : l’intimité, la clôture et le gouvernement de son temps. 

Le « chez-soi » est le lieu de l’intimité. Et ce sentiment d’intimité advient au travers de la possibilité de l’appropriation de son espace (on le meuble, on le décore, on le range... ou non à sa façon, on y construit un paysage personnel d’objets). Mais pour que cet espace devienne véritablement le lieu de l’intime, il doit pouvoir être celui de ses secrets, de sa vie familiale et domestique, de ses arrangements privés. Faire de ce chez soi, un lieu de l’intime est ce qui fait que le moi peut s’y recueillir, condition, nous dit Levinas, pour que l’Homme puisse se tenir dans le monde, à partir d’une demeure où il puisse s’y retirer... Un chez-soi est cet espace dans lequel tout (le mobilier, les murs, les objets, mais aussi les sentiments ou les affects) ressemblera à ce que nous avions voulu y trouver. Le chez-soi (notre « maison ») est le lieu où l’on se retire, on se change, où l’on enlève ce qui fait de nous un être social appartenant aux autres. Là où l’intimité est soustrait aux regards de ceux et de celles qui ne sont pas invités à en prendre connaissance, sans quoi cette intimité disparaît intégralement. 

La clôture est également nécessaire pour qu’existe un chez-soi, car le chez-soi a à voir avec le sentiment de sécurité. Demeurer chez soi nécessite, en conséquence, de pouvoir contrôler qui peut y entrer (on accueille qui l’on souhaite chez soi, on en interdit l’entrée à d’autres et certains ne seront reçus que sur le seuil, certains partageront pour un moment la pièce de vie, d’autres encore la chambre, etc.). Mais la clôture, qui est matérialisée par la porte, dont Georg Simmel nous dit qu’elle est aussi la jointure entre l’espace de l’homme et ce qui lui est extérieur, doit pouvoir être franchie par son occupant. La possibilité d’ouvrir sa porte et de pouvoir la franchir librement, distingue l’hospitalité de la prison. Possibilité qui, quand on observe certaines formules d’habitat dite inclusif ne semble pas toujours aller de soi... Et si la maison est bien cet espace privé pour cause de clôture, la salle de bain est une maison dans la maison, la protection absolue d’un environnement dans lequel on se sent et on se veut en sécurité, le théâtre de quelque chose d’impossible dans le reste de la maison. Alors, on ne peut que s’interroger sur la qualité d’un chez-soi dans un habitat partagé où « la » salle de bain se doit de l’être également, partagée...

Le chez soi, enfin, est le lieu où l’on peut gouverner son temps. Gouverner son temps est une des conditions de la maitrise de son intérieur, mais aussi de sa manière subjective d’habiter. C’est aussi une des raisons importantes pour lesquelles les personnes en situation de handicap aspirent à habiter chez elles, quand elles habitent dans leur famille ou dans un établissement médico-social où leur temps est pour partie décidé et organisé par d’autres... Mais cette possibilité de gouverner son temps peut entrer en tension (et parfois même être contrariée) par les impératifs que peut imposer le partage de moments de vie sociale soumis à des sollicitations estimées nécessaires, quand, dans un habitat inclusif, il est jugé que la personne aurait trop tendance à se « retrancher chez elle », à s’isoler, alors que l’objet de la forme d’habitat qui lui est proposé est précisément d’éviter cette situation. Comme le gouvernement de son temps peut-être singulièrement contrarié par les impératifs d’horairres imposés par un service d’accompagnement à la vie au domicile, quand sa situation de vie et de handicap en nécessite le concours et que ce sont ces obligations d’organisation qui, finalement, programment une grande partie de son temps : le moment où l’on peut se lever, s’habiller, s’alimenter, sortir ou rentrer chez soi... 

Cette question existentielle du gouvernement de son temps montre qu’un chez-soi n’est pas réductible à la forme-maison (un toit, des murs, etc.) fusse-t-elle aussi agréable et confortable que possible. Mais qu’un chez-soi se fonde sur la réalité des choses et des sentimenst qui peuplent la vie de chacun d’entre nous et que ce sont les conditions de cet ensemble qu’il faut pouvoir réunir pour que quelqu’un puisse y habiter véritablement.

La maison, le chez-soi, ainsi précisés, n’est pas le repli, même si elle peut et doit pouvoir le rester. La maison, le chez-soi est aussi l’unité d’un possible déploiement pour celui ou celle qui l’habite, l’unité d’un possible devenir citoyen et le lieu à partir duquel un nouveau champ des possibles s’ouvre... 

Mais vivre dans la cité, c’est d’abord pouvoir sortir de chez soi. Il faut rappeler encore et toujours, que nombre de personnes handicapées ou de personnes âgées sont encore assignées à résidence dans leur appartement ou dans l’établissement médico-social dans lequel elles résident. La possibilité, pour elles, de sortir de leur chez-soi interroge d’abord l’environnement « physique » : pouvoir sortir de chez soi nécessite, en effet, un environnement qui permette une liberté et une sûreté de déplacement et d’usage, sans aucune condition d’âge et de déficiences, c’est à dire sans obstacles physiques ou à la compréhension de l’information ; et peut parfois requérir un accompagnement ponctuel ou durable.

Mais vivre dans la Cité interroge aussi l’environnement social, car comme le souligne Charles Gardou, si l’on accepte désormais les personnes handicapées, on ne les considère pas toujours comme des acteurs dignes de participer à la vie de la Cité. Et des regards indifférents et stigmatisants les « infirment » et leur font encore vivre de ces instants où ces personnes se sentent séparées du monde du simple fait qu’elles sont elles-mêmes.

On comprend par là que se préoccuper d’habitat avec et pour les personnes en situation de handicap et les personnes âgées nécessite d’articuler des « chez-soi », dont je viens de rappeler quelques conditions essentielles, à un accompagnement de qualité de ces personnes, à un environnement accessible, à des moyens et des possibilités de mobilité et à un environnement social accueillant... Autrement dit, que cela nécessite la mobilisation d’une multitude d’acteurs sur un territoire donné, sur un même espace vécu comme disent mes amis géographes... mobilisation dont la collectivité territoriale (ville, agglomération, métropole) devrait être, à mon sens, le chez d’orchestre légitime et pertinent. 

4. Pour conclure, je voudrais vous soumettre deux interrogations auxquelles vous aurez à répondre si vous souhaitez entreprendre la réalisation d’un dispositif d’habitat inclusif. Elles concernent la dimension de la vie sociale et partagée qui caractérise cette forme d’habitat qu’est l’habitat inclusif. 

Partager une vie sociale, mais avec qui ?

La question que pose cette histoire de vie sociale et partagée est, au fond, celle que posait le Comité national d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé dans un avis concernant les enjeux éthiques du vieillissement : « quel sens donné à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dit d’hébergement ? ». Question qui vaut pour les personnes en situation de handicap également, et dont la problématique repose précisément sur le « entre elles ». Le modèle préconisé par les logemenst API ou par l’habitat inclusif présuppose, pour que l’isolement ne soit pas une fatalité, qu’il soit nécessaire de reconnaître en d’autres personnes, celles qui nous ressemblent suffisament pour nous permettre de trouver en elles une fraternité et une solidarité. Mais dans un article éclairant, la philosophe Danielle Moyse s’interrogeait sur qui pourrait bien être cet « autre » ? Est-ce forcément à un semblable que l’on aimerait ressembler ? Plus profondément encore, quels sont les éléments de similitudes ou bien d’altérité que nous avons envie de rencontrer en l’autre pour nouer une relation ? Et, prolonge-t-elle, est-on certain qu’un sort commun, fut-ce le handicap ou l’âge, créé systématiquement et surtout immédiatement une proximité avec les autres ? Car plus vraisemblablement, il ne suffit pas d’être en situation de handicap ou être âgé pour se trouver des affinités électives avec de supposés semblables.

Certes, le principe d’un collectif constitué sur le principe d’un « être ensemble », ce qui est sous-tendu par le projet d’établir une « vie sociale et partagée », n’est pas à rejeter à-priori. Il permet, à certaines conditions, de se rencontrer, d’échanger, d’établir des liens sociaux, pour peu qu’à minima, l’on ait choisi un tel mode de vie et les personnes avec lesquelles on va le partager. Car la possibilité d’un vivre ensemble heureux nécessite d’en avoir fait le choix. Accepter un mode de vie, c’est y adhérer et l’on sait que les personnes handicapées, parfois, permettent, autant dire supportent, un mode de vie par défaut, tant la diversité des solutions possibles pour elles demeurent encore aujourd’hui limitée. Pourtant si le chez-soi est un refuge, celui-ci n’a pas la même coloration selon qu’il est choisi ou contraint. Et l’expérience montre que l’assimilation par défaut à un groupe de personnes que l’on a pas choisies et avec lesquelles on n’a pas envie de partager, fut-ce une part de son existence, compromet le sentiment d’habiter, pour peu que l’on s’accorde sur la différence qui existe entre habiter et être logé.

Les espaces communs comme possible territoire de personne 

La vie sociale et partagée s’adosse dans l’habitat inclusif à des espaces communs qui sont supposés le permettre. Mais ces espaces communs, ces espaces de cohabitation sont des espaces fragiles en ce qu’ils sont perméables aux bruits, aux odeurs, aux bouts d’informations personnels... Ces espaces intermédiaires entre le chez-soi et le dehors, courre le risque de devenir le « territoire de personne, dans la mesure où il est toujours difficile de le maîtriser, aussi bien par l’individu que par la comunauté. Car si son apparence et l’ambiance qui y règne dépendent de l’ensemble des cohabitants, la manière de le traiter ne fait que pas toujour l’objet d’un accord ou d’une décision commune, ce qui le différencie de la communauté proclamée, où il serait le « territoire de tous » dont le traitement ferait l’objet de décisions communes. 

Le dispositif d’« habitat inclusif » propose d’éviter ces difficultés par la formalisation du projet de vie sociale et partagée dans une charte, conçue par ses habitants avec l'appui du porteur du projet, ou que l’habitant l’accepte en cas d'emménagement postérieurement à son élaboration. Mais un tel document, fut-il conçu avec les habitants, suffit-il à définir les règles du vivre ensemble ? 

La charte de la vie sociale et partagée formalise l’engagement volontaire des signataires (habitants et porteurs du projet d’habitat) en affirmant les principes et les règles de la vie sociale et partagée. Mais la première question qui se pose est celle du statut même de la charte qui appartient au « soft law » (ou « droit mou »), ce en quoi elle se distingue d’un contrat, par exemple. Question qui se posera avec acuité quand il sera constaté que telle ou telle dimension de la charte n’est pas respectée : y aura-t-il sanction ? Et laquelle ? Qui sera en mesure de la décider ?, etc. Le fait que la ou les personnes chargée d’animer cette vie « sociale et partagée » soient employées par la personne morale chargée d’assurer ce projet renforce cette difficulté. En créant une situation d’asymétrie ou pour le moins de double « donneur d’ordre » entre l’employeur et le collectif d’habitants. Il y a là dans l’étude de ces chartes, dans leur mise en oeuvre effective, dans leur modalités de contrôle par les collectifs d’habitants et dans leur évolution, un point de vigilance nécessaire pour que ces chartes ne deviennent pas des règlements intérieurs qui ne disent pas leur nom.

29 juin 2022

Vient de paraître

Jean-Luc Charlot, Pour en finir avec l’habitat inclusif. Sociologie d’une forclusion. Paris, L’Harmattan, juin 2022, 105 pages, 12, 50 euros

"Depuis 2016, l’État et ses administrations ont façonné
une nouvelle catégorie d’action publique, dénommée
« habitat inclusif ». Porté par le mot d’ordre de la « société
inclusive », l’habitat inclusif impose progressivement
aux personnes en situation de handicap un mode de vie
parmi une pluralité d’autres possibles.

C’est à la compréhension de ce mécanisme de forclusion
qu’est consacré ce court essai. Ainsi qu’au dévoilement
des principaux impensés de cette politique dans sa
conception imparfaite de ce que pourrait être l’inclusion.

Il propose enfin d’autres perspectives afin d’envisager
l’habiter des personnes en situation de handicap
comme l’opportunité de ne plus penser et agir en termes
spécifiques pour des groupes de personnes tenues
pour singuliers. Et de faire de l’habitat, une manière
de s’appliquer à humaniser la vie pour tous, à partir
du principe universel d’accessibilité et du concept de
qualité de vie".

 

https://www.editions-harmattan.fr/livre-pour_en_finir_avec_l_habitat_inclusif_sociologie_d_une_forclusion_jean_luc_charlot-9782140271915-73674.html

1 avril 2022

L’avènement de l’habitat inclusif comme catégorie d’action publique

Semaine Handicap et Citoyenneté- Université catholique de Lille- 2022. Mercredi 30 mars 2021.

 Journée thématique « Habitat, logiques inclusives et autonomie de vie »

 

L’avènement de l’habitat inclusif comme catégorie d’action publique : la forclusion de la cause de l’habitat des personnes en situation de handicap ?

 

« Les pouvoirs publics répondent moins à des problèmes pré-existants qu’ils ne les construisent » René Lenoir

 1. La forclusion est un terme emprunté au champ de l’économie industrielle dans la suite notamment des travaux de Patrick Rey et Jean Tirole (2007)1. De manière générale, la forclusion est définie comme la capacité d’une firme détenant un pouvoir économique sur un marché d’affecter par son comportement la structure d’un autre marché. Par analogie, je désigne ici par « forclusion », la capacité de l’Etat et de ses administrations d’affecter par leur comportement (discours et pratiques législatives et réglementaires), la cause de l’habitat des personnes en situation de handicap, en privilégiant une modalité d’habitat parmi d’autres possibles, à savoir ce qui est désigné par « habitat inclusif ».

 

2. Par ce processus, on assiste à une transformation de la question du choix du mode d’habiter qui convient le mieux à une personne selon ses besoins et ses aspirations à un moment donné de sa vie à l’imposition d’une vie sociale partagée avec le plus souvent des personnes vivant des situations supposées communes (âge ou handicap), que seules des circonstances étrangères ou involontaires ont créée. Faisant ainsi passer, comme par prestigiditation, cette question d’habitat, du temps des problèmes au temps de LA solution... Au point de sembler faire sombrer la plupart de ceux qui inventent des solutions d’habitat dans des abîmes de préoccupations surmoïques : « on est obligé de », « il faut faire comme ça » (proposer une vie sociale et partagée).

 Petite histoire de l’avènement de la catégorie d’action publique « habitat » inclusif »

 3. Il existe un avant « habitat inclusif ». Avant que de nommer une catégorie d’action publique, les termes d’« habitat inclusif » sont apparus récemment ; et sans doute, tout au moins dans le discours public, lors d’un colloque organisé à Paris, en mai 2016, par l’Association des Paralysés de France (APF), un colloque intitulé précisément « Colloque habitat inclusif. Antérieurement à cette dénomination, de nombreuses initiatives s’étaient multipliées depuis une quinzaine d’années, portées par les personnes handicapées elles-mêmes, par leurs proches ou bien par des associations qui, gèrant des établissements et services médico-sociaux, souhaitaient répondre aux aspirations à un autre mode de vie des personnes qu’elles accueillent ou accompagnent. 

Les dimensions souvent protéiformes de ces réalisations s’affrontaient à des obstacles juridiques et administratifs qui faisaient de l’élaboration de ces solutions de longs parcours du combattant, laissant les promoteurs de projets épuisés et parfois défaits. C’est à la demande de ces promoteurs de projets que les pouvoirs publics se sont progressivement emparés de cette question afin de tenter de lever les principaux obsctacles qu’ils pouvaient être amenés à rencontrer.

 4. La tenue du Comité Interministériel du Handicap (CIH) du 2 décembre 20162, à Nancy constitue sans aucun doute le premier acte politique de cette prise en compte des obstacles rencontrés par les promoteurs de projets d’habitat. Comme il signe l’origine de la création de la catégorie d’action publique « habitat inclusif ». De ce CIH sont issus les premiers éléments structuant la doctrine3 de l’habitat inclusif au travers d’un texte intitulé « Démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif pour les personnes en situation de handicap ». Une première définition de l’habitat inclusif est proposée au travers de trois caractéristiques :

1° L’habitat inclusif repose sur une organisation qui fait du lieu d’habitation de la personne en situation de handicap son logement personnel, son « chez soi »,

2° L’habitat inclusif conjugue, pour la personne en situation de handicap, la ré́ponse à̀ son besoin de logement et la ré́ponse à̀ ses besoins d’aide, d’accompagnement et, le cas échéant, de ce qu’il est convenu d’appeler la « surveillance »,

3° L’habitat inclusif vise toujours, en prenant en général appui sur la vie organisée à̀ plusieurs, une insertion active dans le voisinage, la vie de quartier, l’environnement de proximité́.

On remarquera que, si en préalable de ces éléments de définition, il n’avait pas été précisé que l’habitat inclusif se situait « à distance de l’accueil en é́tablissement comme du logement dans sa famille ou dans un habitat ordinaire totalement autonome », ces trois caractéristiques pourraient être tout aussi bien celles d’un établissement médico-social (pour peu que celui-ci organise un « chez soi » à chacun de ses résidents, ce qui était parfois le cas).

 5. L’installation officielle de l’Observatoire National de l’Habitat Inclusif4 eut lieu le 10 mai 2017. La page de présentation de cet Observatoire, sur le site de la Caisse Nationale de la Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), apporte quelques compléments à la définition de l’habitat inclusif : c’est « une réponse complémentaire au logement ordinaire et à l’hébergement en institution. Il s’agit généralement de petits ensembles de logements indépendants proposés aux personnes âgées ou aux personnes handicapées, associés à des espaces communs. Ils permettent de combiner vie autonome et sécurisation de l’environnement. Ils réunissent des personnes souhaitant s’intégrer dans un projet de vie spécifique, souvent à forte dimension citoyenne. Le terme « habitat inclusif » regroupe des organisations très diverses, mais qui présentent trois caractéristiques communes : une organisation qui fait du lieu d’habitation de la personne, son logement personnel, son « chez soi » ; la conjugaison de la réponse au besoin de logement et aux besoins d’aide, d’accompagnement et, le cas échéant, de « surveillance » ; l’insertion active dans la vie de quartier, l’environnement de proximité ».

6. Simultanément, prolongeant la feuille de route initiée par le CIH de décembre 2016, est décidé la mise en oeuvre du financement d’une structure expérimentale d’habitat inclusif par région. Une enveloppe de soixante mille euros sera versée à chaque ARS en 2017 (…) pour le financement d’une structure expérimentale d’habitat inclusif pour personnes handicapées. Une annexe permet de préciser que cette enveloppe est « destinée aux projets innovants et pourra être versée à un ESMS ou à une association support de l’expérimentation » et qu’elle doit permettre de « couvrir les frais liés à la coordination, la gestion administrative et la régulation de la vie collective ».

 7. Les administrations concernées étaient convaincues qu’il fallait inscrire l’habitat inclusif dans la loi pour en assurer définitivement le développement et que la loi portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN), alors en cours d’examen au parlement, représentait sans doute de seul « véhicule législatif » possible au cours du quinquennat pour le faire. Raison pour laquelle un amendement gouvernemental fut présenté au cours de la discussion parlementaire et y fut adopté. La définition retenue de l’habitat inclusif dans la loi est largement inspirée de celle qui prévalait pour la forme expérimentée dans chacune des régions et financée par les ARS, à savoir : « un petit ensemble de logements indépendants associés à des espaces communs auxquels est dédié un forfait pour le financement de la vie sociale ».

 8. En décembre 2019, le Premier ministre, Edourd Philippe, chargeait messieurs Wolfrom et Piveteau d’une mission visant à proposer une stratégie nationale pour le déploiement à grande échelle de l’habitat inclusif, mission qui devait aboutir à la remise de leur rapport en juin 2020, intitulé : « Demain, je pourrai choisir d’habiter chez vous ». Prolongeant l’esprit de la loi ELAN, les auteurs y dessinent les contours de ce qu’ils appellent l’habitat « accompagné, partagé et inséré dans la vie locale » (API) et proposent une boîte à outils juridico-administratifs aux fins de favoriser leur développement. En nommant l’habitat inclusif qui était l’objet de la commande du Premier ministre « logement Accompagné, Partagé et Inséré », les auteurs voulaient donner, à n’en pas douter, une impulsion, un nouvel élan à cette catégorie d’action publique en construction, mais aussi installer définitivement dans les imaginaires, la primauté du mode de vie partagée. Une vie partagée conçue comme le recours à l’isolement qui sera peut-être, selon les auteurs, le « sixième risque de la protection sociale5 », conviction qui les conduit à promouvoir cette forme d’habitat où l’on est « chez soi, mais sans être seul ». 

 9. Ce nouvel élan, souhaité par le rapport Piveteau-Wolfrom, a trouvé sa concrétisation en février 2021, où pas moins de quatre ministres6 ont installé le premier Comité de Pilotage de l’Habitat inclusif. La principale mesure (et pratiquement la seule retenue du rapport) qui y sera annoncée est l’« Aide à la Vie Partagée » (AVP), cette nouvelle prestation de l’action sociale départementale qui « sera octroyée à tout résident d'un Habitat inclusif dont le bailleur ou l'association partenaire a passé une convention avec le département.

 10. Par une succession de gestes politico-administratifs, ont été qualifiés et définis les contours de la catégorie d’action publique « habitat inclusif ». Comment, d’une demande de promoteurs de projets d’habitat aspirant à ce que les obstacles qu’ils rencontraient dans la réalisation de leurs projets soient levés, les pouvoirs publics ont répondu par la production et la diffusion d’une vision de la question de l’habitat des personnes en situation de handicap. Une vision qui, comme subrepticement, a façonné la manière de voir de nombre de porteurs de projets, puisque définir une politique et son objet, c’est définir dans le même mouvement la réalité sur laquelle cette politique est censée agir. Et que tracer les contours d’une catégorie d’intervention publique consiste aussi à promouvoir un mode de représentation particulier du problème qu’elle est censée résoudre.

 Les impensés de l’habitat inclusif

11. On peut faire l’hypothèse qu’un certain nombre d’impensés caractérisent désormais la proposition de la politique publique d’habitat inclusif. Nous en proposons ici un premier inventaire assurément non exhaustif, assurés que nous sommes que l’avenir de la vie de leurs habitants en ces lieux en dévoileront d’autres, à n’en pas douter, dans les années à venir...

12. L’impensé de la vie à plusieurs : vivre à plusieurs, mais avec qui ?

La question que pose cette injonction de la politique de l’habitat inclusif de vivre à plusieurs est, au fond, celle que posait le Comité national d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé dans un avis concernant les enjeux éthiques du vieillissement7 : quel sens donné à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dit d’hébergement ? Question qui vaut pour les personnes en situation de handicap également, et dont la problématique repose précisément sur le « entre elles ». 

 13. L’impensé de l’inclusif

La formule langagière « habitat inclusif » donne ainsi à penser que la solution d’habitat qu’elle désigne a pour fonction l’inclusion de ses habitants dans la société et laisse supposer, en conséquence, qu’ils étaient, avant que d’y habiter, en situation d’exclusion. La notion d’exclusion, dans son acception immédiate, est fondée sur une représentation spatiale de la société et de l’être-ensemble, qui induit la possibilité d’un « hors de la société ». Elle renvoie à l’idée d’une coupure franche entre deux mondes sociaux où les « exclus » seraient totalement retranchés du jeu social parce qu’ils n’auraient aucun des droits, des attributs et des ressouces nécessaires pour participer à la vie collective. Mais les personnes en situation de handicap ne sont pas hors de la société, elles sont dans la société, à une place qui leur est assignée cependant. 

Penser à partir de cette dicotomie inclusion/exclusion invite inévitablement à se demander ce que l’on peut faire pour les personnes handicapées et non ce qu’elles ont à dire et à revendiquer, elles. Parler d’inclusion à l’égard de personnes déjà présentes dans la société procède d’un mécanisme mental en surplomb qui fait d’abord sortir les personnes du cercle sociétal pour se demander ensuite comment les y faire entrer. Et c’est à travers ce prisme que s’est élaborée la politique publique de l’habitat inclusif où finalement l’inclusion est envisagée comme un état qui se satisferait du partage d’un même lieu que tout un chacun en vue de la normalisation de personnes comme habitant d’un quartier ou d’un village.

 14. L’impensé de la gouvernance de la politique publique de l’habitat inclusif

Sous la double contrainte des règles établies par les administrations centrales et de la technique de l’appel à projet comme procédure de choix des projets à retenir, les réalisations d’habitat inclusif tendent vers une uniformisation des modes de vies proposés. L’impensé de ce mode de gouvernance réside dans le fait qu’il marginalise ainsi une partie de ceux qui sont porteurs d’autres aspirations, d’autres orientations, d’autres demandes de modes de vie. Il invisibilise (et donc rend illégitime) ces aspirations, ces demandes et ces orientations, contribuant à renforcer le sentiment d’injustice sociale que perçoivent légitimement les personnes en situation de handicap. La forme de gouvernance choisie de cette politique publique met à distance les premiers concernés par son objet et font qu’ils sont le plus souvent parlés par ceux qui, pour eux, élaborent et mettent en oeuvre les solutions d’habitat.

 


1  Le lecteur curieux pourra trouver une première explicitation de cette notion dans l’article de David Encaouca : Pouvoir du marché, stratégie et régulation. Les contributions de Jean Tirole, HAL, 2014, pages 13-14

2 www.gouvernement.fr/comite-interministeriel-du-handicap-du-handicap-2-decembre-2016

 

3  Cet ensemble de principes et d'énoncés traduisant une certaine conception de la société et s'accompagnant de la formulation de modèles de pensée et de règles de conduite.

4 www.cnsa.fr/actualites-agenda/actualites/lobservatoire-de-lhabitat-inclusif-est-au-travail

 

5  Ibidem, page 9

6  Jacqueline Gourault, Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Emmanuelle Wargon, Ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, Brigitte Bourguignon, Ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargée de l’Autonomie et Sophie Cluzel, Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des Personnes handicapées

7  Avis n°128, 15 février 2018

Publicité
Publicité
17 décembre 2021

Le programme de recherche "Habitat, handicap et innovations sociales"

Le cahier de recherche : 

ESO-GRAPHI

Les questions que posent aujourd'hui l'habitat et l'habiter des populations handicapées, et plus largement des populations fragiles, invitent la société à repenser les approches, les pratiques et les usages, dans leurs dimensions sociale et...

https://esographi.hypotheses.org



 

27 novembre 2021

Journée d'Étude et d'Échanges sur l'Habitat inclusif. Toulouse, 23 novembre 2021

Puisqu’il me revient la toujours difficile tâche d’ouvrir à la réflexion de cette journée consacrée à l’habitat inclusif, je voudrais consacrer cette intervention à trois points qui m’apparaissent important de penser collectivement quand on s’intéresse, quand on se préoccupe d’habitat inclusif.

Le premier, qui est comme un impératif, sera de se demander de quoi l’habitat inclusif est-il donc le nom. Je le ferai en risquant d’être quelque peu discourtois avce les organisateurs de cette journée qui ont eu la gentillesse de m’inviter en montrant qu’ils ont peut-être mal nommé cette journée.

Le second point sera de s’interroger sur ce qu’est « habiter » qui est, à mon sens, plus qu’être logé, et à quelles conditions on habite vraiment...

Le troisième point, enfin, consistera, en écho aux ateliers de cet après-midi, à ébaucher quelques pistes de ce que pourrait être une démarche territoriale qui se donnerait pour intention d’accompagnenr le développement de formules d’habitat permettant aux personnes en situation de handicap de vivre chez elles et dans la Cité.

 Mais commençons par le commencement : de quoi l’habitat inclusif est-il donc le nom ?

 Je voudrais d’abord rappeler que l’habitat inclusif, terme apparu récemment et qui s’est imposé dans les discours, vraisemblablement à la suite d’un colloque organisé à Paris en mai 2016 par l’APF et intitulé précisément « Colloque sur l’habitat inclusif », est le prolongement d’initiatives qui se sont multipliées depuis une quinzaine d’années. Les premières ayant sans doute près de soixante ans, puisque, coordinateur du réseau des GIHP, il me faut me souvenir que ce réseau est né à Nancy, d’étudiants en situation de handicap moteur et sensoriel qui se préoccupainet de savoir « où habiter » et comment se déplacer. 

Ces différentes réalisations ont été ou sont portées par les personnes handicapées elles-mêmes, par leurs proches ou bien par des associations qui gèrent des établissements et services médico-sociaux et qui répondent ainsi aux aspirations à un autre mode de vie des personnes qu’elles accueillent ou accompagnent.

Des initiatives que j’ai qualifié dans un ouvrage (Le pari de l’habitat) de « bricolage social local », pour montrer leur dimension d’ « invention » et celle de leur intégration à un tissu local ; des initiatives qui se proposent de créer les conditions pour que ces personnes vivent chez elles et dans la cité et ce, en agençant des dispositifs de droit commun (logement, modalités de location, services et modalités d’accompagnement des situations de vie et de handicap, etc.). Ce que je nomme HABITER, habiter qui est plus que se loger, avoir un toit ou un abri...

Ces initiatives ont donné lieu à un foisonnement de solutions d’habitat, caractérisé par la diversité de leurs formes, qu’elles soient architecturales, de portage immobilier, de conditions de vie (de la plus indépendante à la plus communautaire, en passant par toutes les nuances possibles de dimensions collectives), de modalités de d’accompagnement des situations de vie et de handicap de leurs habitants...

L’habitat inclusif est d’abord et avant tout le nom d’une politique publique, particulièrement depuis le Comité Interministériel du Handicap du 2 décembre 2016 qui a finalisé une démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif. Depuis, s’en est suivi un certain nombre de mesures comme la publication d’un guide de l’habitat inclusif, la création d’un observatoire national de l’habitat inclusif, opportunément étendu aux personnes âgées, un article de la loi ELAN qui créé les conditions d’un financement de certaines fonctions (comme celles de coordination et d’animation de la vie sociale et partagée), fonctions qui sont constitutives de certaines de ces formules d’habitat inclusif et qui ne trouvaient pas de solutions pérennes à leur financement jusqu’ici. Et qui s’est trouvé complété, suite à la publication du rapport de Denis Piveteau et Jacques Wolfrom, « Demain, je pourrai choisir d’habiter avec vous », d’une nouvelle mesure de financement, dite d’Aide à la Vie partagée, en cours de déploiement dans une certain nombre de Départements. 

Mais l’habitat inclusif est aussi, il faut bien l’avouer, le nom d’une certaine confusion. Du fait, notamment, du contexte dans lequel ces formules d’habitat inclusif se développe , contexte qui se caractérise par la volonté des pouvoirs publics d’inciter simultanément à une « désinstitutionnalisation » du médico-social, appelée parfois « transformation de l’offre ». 

Cet impératif de désinstitutionnalisation, de transformation de l’offre qui prend parfois la teneur d’une injonction, s’accompagne d’une approche gestionnaire qui conduit les autorités de tutelle et les financeurs à imaginer une équation vertueuse où desinstitutionnalisation et prise en charge à moindre coût trouveraient leur résolution dans des projets d’habitat inclusif. 

 Une autre raison de cette confusion est que la notion d’habitat inclusif se disperse entre, d’une part des fondements axiologiques relevant des valeurs de ce qui est désirable et d’autre part de fondements normatifs fixant ce qui est permis, obligatoire, interdit. 

 Pour ce qui est des fondements normatifs, l’article 129 de la loi ELAN y répond en définissant l’habitat inclusif comme :

Un logement meublé ou non, en cohérence avec le projet de vie sociale et partagée, loué dans le cadre d'une colocation ou à un ensemble de logements autonomes destinés à l'habitation, meublés ou non, en cohérence avec le projet de vie sociale et partagée et situés dans un immeuble ou un groupe d'immeubles comprenant des locaux communs affectés au projet de vie sociale et partagée. La norme, ici prescrit l’habitat inclusif comme, avant tout une formule d’habitat qui propose une vie sociale et partagée.

Autrement dit, l’habitat inclusif qui se caractérise d’abord et avant tout la proposition d’une vie sociale et partagée n’est qu’un mode d’habitat possible, un mode d’habitat parmi d’autres. D’où ma remarque préalable concernant l’intitulé de cette journée qui peut-être limite la question de l’habitat des personnes en situation de handicap à un des nombreux possibles et désirables...

Et puisque nous en sommes au « désirable », attardons-nous alors sur les valeurs de ce qui est désirable. Car l’habitat est un bien désirable, contrairement au logement qui lui, est un droit exigible. Car est désirable la possibilité de vivre dans un « chez-soi » qui correspondent à ses besoins et à ses aspirations à un moment donné de sa vie...

 

Alors qu’est-ce qu’habiter ? Qu’est-ce qui fonde un véritable chez soi ?

 L’habiter est un bien désirable, en ce qu’il conditionne toute apparition durable en public. L’habiter conditionne l’assurance de pouvoir se rendre dans la cité (flâner dans son quartier ou se rendre à son travail ou à une activité de loisir...), en ce qu’il offre la possibilité de pouvoir s’y retirer, de s’y rétablir et de s’y recueillir. 

Habiter ne se limite pas à vivre (ou à survivre), il donne à la vie une certaine tonalité, il la rend expressive, il se présente pour elle comme l’origine d’un sens. Habiter est un trait fondamental de l’être. 

On aussi ainsi affirmer que l’habiter ne saurait être seulement le résultat d’une « bonne » politique du logement, d’un « bonne » architecture, d’un « bon » urbanisme (et pourrait-on ajouter d’un « bon » article de la loi ELAN), autant de conditions certes nécessaires, mais non suffisantes.

C’est de l’habiter que dépend la qualité de la sphère privée, de l’habitat entendu comme, à la fois le logement, le chez-soi et tous les parcours urbains et civiques qui y mènent et d’où l’on s’y projètent. En rappelant, une nouvelle fois qu’habiter n’est pas se loger. L’habiter, cette dimension existentielle ne se satisfait pas seulement d’un nombre de mètres carrés de logement ou de la qualité architecturale d’un immeuble. 

C’est quand l’Homme « habite », que son habitat devient habitation, que son habitation devient ce lieu d’un possible devenir citoyen...

Alors, si c’est bien de cela dont il s’agit quand nous parlons des fondements axiologiques de la définition de l’habitat inclusif, à savoir créer les conditions d’un habiter pour les personnes en situation de handicap, autrement dit contribuer par l’habitat à inscrire les personnes handicapées au centre du pacte républicain, non plus comme une marge qui mérite compassion, mais comme des personnes ayant les mêmes droits que les autres, alors la méthode, la démarche pour y parvenir est prépondérante.

 

En veillant particulièrement à un point : proposer un véritable « chez-soi ». Mais qu’est-ce qu’un chez-soi ?

Il est possible de convoquer un certain nombre d’auteurs afin de préciser ce qu’un « chez-soi » veut dire, le premier d’entre eux demeure incontestablement Gaston Bachelard. A sa « Poétique de l’espace » plus précisément. Un ouvrage où il proposait de ne pas considérer la maison comme un objet comme les autres, qu’il s’agirait simplement de décrire, mais qu’il fallait penser comme notre « coquille initiale », ceci afin de comprendre comment nous nous enracinons jour après jour dans un coin du monde. Le « chez-soi » est, pour chacun de nous, que nous soyons en situation de handicap ou non, notre « coin du monde ».

Il est, comme l’écrit Bachelard, une des plus grandes puissances d’intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l’Homme.

Je ne ferai ici, pour les avoir radoter suffisamment depuis quelques années, que rappeler trois dimensions qui peuvent être mobilisées pour circonscrire un chez-soi, même si elles ne le définissent pas totalement, mais elles peuvent servir utilement à l’évaluation de son effectivité : 

- Le « chez-soi » qui est d’abord et peut-être avant tout, le lieu de l’intimité. Ce sentiment d’intimité advenant au travers de la possibilité de l’appropriation de son espace (on le meuble, on le décore, on le range... ou non, à sa façon, on y construit un paysage personnel d’objets). Mais pour que cet espace devienne véritablement le lieu de l’intime, il doit pouvoir être également celui de ses secrets, de sa vie familiale et domestique, de ses arrangements privés. 

- La chez-soi qui nécessite de pouvoir contrôler qui peut y entrer. La possibilité d’ouvrir sa porte et de pouvoir décider de qui peut la franchir, distingue l’hospitalité de la prison. Possibilité qui, quand on observe certaines formules d’habitat dit inclusif ne semble pas toujours aller de soi... comme non plus, dans certains établissements médico-sociaux.

- Le chez-soi qui est le lieu où l’on peut gouverner son temps. Gouverner son temps étant une des conditions de la maîtrise de son intérieur, mais aussi de sa manière subjective d’habiter. 

Comme le souligne si justement Mona Chollet, si une personne ne dispose pas d’un territoire propre (ce chez-soi dont je viens d’esquisser les conditions d’effectivité), attendre d’elle qu’elle apporte une contribution à la vie collective revient à attendre d’un homme qui se noie qu’il en sauve un autre...

Je voudrais terminer mon intervention en écho aux ateliers de cet après-midi, en ébauchant quelques pistes et quelques conditions de ce que pourrait être une démarche territoriale qui se donnerait pour intention d’accompagnenr le développement de formules d’habitat permettant aux personnes en situation de handicap de vivre chez elles et dans la Cité.

Pour ce qui concerne la méthode d’élaboration et de réalisation de ces projets d’habitat, la première question à se poser est celle de savoir si on les réalise pour ces personnes ou bien avec elles ? 

Autrement dit, va-t-on adosser ces projets d’habitat à un travail d’élaboration, d’échanges et de confrontations de points de vue entre les promoteurs de ces projets et les futurs habitants ? Ou va-t-on reproduire des dispositifs existants, éventuellement aménagés à la marge ou des formules d’habitat que l’on a visitées et qui semblaient « bien fonctionner ». 

Faire avec les futurs habitants, nécessite d’organiser des espaces et du temps pour mettre en discussion, en débat, en confrontation cette question d’habitat... A la fois, pour une nécessaire élaboration conjointe des formules d’habitat avec les personnes concernées, mais également avec tous les acteurs impliqués, de près ou de loin par cette question, tant elle bouscule notre culture de la « prise en charge » des personnes, telle qu’elle s’est développée particulièrement en France comme nous l’évoquions précédemment. 

Des espaces et des temps pour les proches et les parents afin qu’ils puissent considérer sereinement leur conception de la protection et de la sécurité de leurs descendants ; des espaces et des temps pour les professionnels de l’accompagnement, afin qu’ils puissent reconsidérer leurs pratiques et leurs postures professionnelles ; des espaces et des temps pour les professionnels de l’habitat (architecte, promoteurs, bailleurs) afin qu’ils puissent intégrer les agencements d’espaces et les équipemens nécessaires dans leurs programmes immobiliers ; des espaces et des temps pour les professionnels et les élus des collectivités, ainsi que les professionnels des agences régionales de santé (ARS) et des Départements, afin qu’ils puissent affirmer une doctrine sur cette question de l’habitat. 

Nécessité pour ces acteurs institutionnels notamment quand on songe que dans des appels à manifestation d’intérêt proposés par des ARS, visant à soutenir l’ingénierie de projets d’habitat inclusif, on peut y lire comme finalité « la création de places dans des logements ordinaires »... Une finalité dont il faut souligner la dimension pour le moins « oxymorique », révélant, une nouvelle fois, la confusion d’horizons qui enchâsse la question de l’habitat des personnes en situation de handicap. 

Par opposition à une approche technico-administrative que suggèrent les politiques actuelles, une telle démarche engage une ré́flexion sur les conditions du libre choix du mode d’habitat des personnes en situation de handicap et sur les qualité́s désirables de cet habitat. Ce libre choix est conditionné́, notamment, par l’existence d’une diversité́ de formules d’habitat sur un territoire, afin qu’il ne soit pas un choix par défaut et par un consentement véritable de la personne (et é́ventuellement de ses proches) : condition pour que la formule d’habitat convienne aux besoins et aux aspirations des personnes concernées, saisis à̀ un moment donné́ de leur vie. De cette manière, les promoteurs de projets s’attachent à̀ « inventer » leur propre solution. L’expé́rience montre que ce processus d’« invention » d’une formule d’habitat permet, d’une part, de mieux ré́pondre aux besoins et aux attentes des personnes concernées (par opposition à̀ la reproduction d’une formule existante pour laquelle les personnes devront s’adapter) et, d’autre part, s’accompagne d’un processus partenarial local qui est une condition de la pérennité́ de la formule d’habitat qui sera réalisé́e. Cette façon de réfléchir l’invention de solutions d’habitat permet également de penser l’amé́lioration des conditions de l’habiter au sein des établissements médico-sociaux qui doivent demeurer un mode possible d’habitat. Pour peu qu’il soit librement choisi et qu’il propose un véritable « chez-soi », tel que nous en avons esquissé les qualités.

 

Pour conclure, quelle pourrait être le rôle d’une collectivité dans l’accompagnement du déploiement de telels formules d’habitat ?

Peut-être est-ce d’abord de proposer et d’animer des espaces de discussion, au sens que lui donne Jürgen Habermas, comme le lieu dans lequel les idées circulent et sont discutées de manière rationnelle. Des espaces qui vont permettre des conditions d’inter-compréhension et une mobilisation des personnes concernées et des organisations. C’est au travers de tels processus itératifs d’énonciation, d’explicitation des demandes sociales et de qualification des besoins et des aspirations d’habitat que pourront être réintroduits les personnes en situation de handicap comme sujets de l’élaboration de ces solutions. 

Dans une telle perspective de co-élaboration de l’offre et de la demande d’habitat, les solutions d’habitat ne se « calquent » plus sur les ressources propres des promoteurs de projets, largement déterminées par les prescriptions réglementaires ou sur leurs représentations de ce que serait ou devrait être un « bon » habitat. Elles se fondent avant tout sur les perceptions de ce qui « dysfonctionne » ou « malfonctionne » dans les mondes vécus des personnes concernées, tout en orientant les « inventions » nécessaires à la réalisation de ces solutions d’habitat.

De tels processus ont pu être mis en œuvre, au cas par cas, pour la réalisation de certaines des initiatives qui se sont multipliées depuis une quinzaine d’années. Mais il convient désormais, dans une perspective de déploiement de ces solutions d’habitat, de proposer des modalités de régulation collective, territoriale et contractuelle de ces modes de construction. Il s’agit de mettre en jeu les multiples acteurs parties prenantes de la question de l’habitat (y compris les personnes concernés), afin qu’ils s’entendent sur les règles de développement de ces formules d’habitat, leur définition et leur organisation et ce, sur un territoire qu’ils estiment cohérents (un Département, une métropole, une agglomération...). La réussite de telles démarches repose sur la légitimité de celui ou celle qui va la piloter. Et sur sa capacité à maîtriser les relations avec l’environnement (l’ensemble des systèmes socio-politiques et institutionnels du territoire), afin que s’organise un échange permanent entre les acteurs de la construction de ces solutions et leur environnement. Le Département dans certains cas, l’agglomération dans d’autres peuvent être la bonne échelle.

Mais si cette démarche esquisse les contours de ce que pourrait être une « politique de l’offre », il n’en reste pas moins nécessaire de développer simultanément une « politique de la demande ». Il n’existe, en effet, actuellement, pas ou peu de lieux pouvant répondre (ou seulement de manière partielle quand ils existent) à une personne en situation de handicap ou âgée et/ou des proches qui expriment un besoin et une aspiration à habiter autrement que dans leur famille ou en institution. Les « Maisons de l’Habitat », quand elles existe et ayant pour objet de donner un conseil complet et personnalisé sur le logement à la population, pourraient être mobilisées sur ce sujet de l’habitat des personnes en situation de handicap et des personens âgées, afin de répondre et les accompagner dans leurs demandes.

 

17 octobre 2021

Colloque AFVA, 14 Octobre 2021 Habitat inclusif, quel modèle et pour quel bénéfice à l’usager ?

Comme vous m’avez accordé trente minutes pour répondre à une question vraiment problématique, à savoir « habitat inclusif, quel modèle et pour quel bénéfice à l’usager ? », et qu’en conséquence, je ne sais pas si j’aurai trop ou trop peu de temps pour y répondre, je vais commencer, une fois n’est pas coutume, par la conclusion ou plutôt les conclusions...

 UN. Penser « habitat inclusif » est une entrée trop étroite quand on réfléchit l’évolution de l’offre médico-sociale.

DEUX. Il n’y a pas de modèle (même au pluriel) et c’est tant mieux.

TROIS. Le bénéfice pour l’habitant (et non usager) est de pouvoir adopter un mode d’habitat qui convienne à ses besoins et aspirations à un moment donné de sa vie.

 Evidemment, je pourrais m’arrêter là. Mais vous seriez en droit de protester à la manière d’un Cyrano de Bergerac, vous seriez en droit de proclamer que « c’est un peu court jeune homme et qu’à cette question, j’aurai pu bien répondre de choses en somme... ».

Aussi, ne prendrais-je pas ce risque, d’autant plus que parmi vous sont déjà déçus, ceux et celles qui souhaitaient repartir avec un ou deux modèles possiblement tranférables... aussi, vais-je, pendant ces quelques minutes, tenter d’argumenter quelque peu ces conclusions.

 D’abord, pour quoi prétendre que l’« habitat inclusif » serait une entrée trop étroite pour penser évolution de l’offre médico-sociale ?

Parce que par « habitat inclusif », il nous faut entendre et comprendre une définition législative et réglementaire, issu d’un cheminement politico-administratif. Un cheminement qui part du Comité Interministériel du Handicap de décembre 2016 qui, en proposant une « Démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif pour les personnes handicapées », a introduit ce terme d’« habitat inclusif » dans une politique publique, et ce pour la première fois. 

Un cheminement qui passe ensuite par l’article 129 de la loi ELAN, suivi d’un décret, d’un arrêté qui définit un cahier des charges, ainsi que du lancement d’appels à projets par les Agences Régionales de Santé, pour financer un forfait pour la vie sociale et partagée. Un cheminement qui se conclut provisoirement jusqu’au récent dispositif de l’Aide à la Vie Partagée (AVP), issu du rapport Piveteau/Wolfrom, dont les modalités de mises en oeuvre entre la CNSA et les Départements volontaires expérimentent une phase dite « starter ». 

Selon cette définition législative et réglementaire, l’habitat inclusif est un dispositif juridique et budgétaire qui circonscrit un petit ensemble de logements indépendants, comprenant des espaces communs et une forme de régulation de la vie sociale et partagée.

Cette définition est celle d’une catégorie d’action publique qui opère une forclusion de la notion d’habitat dans celle d’habitat inclusif. La forclusion, ici, est un terme emprunté au champ de l’économie industrielle dans la suite notamment des travaux de Patrick Rey et Jean Tirole (2007)1 et non à Jacques Lacan. De manière générale, la forclusion est définie comme la capacité d’une firme détenant un pouvoir économique sur un marché d’affecter par son comportement la structure d’un autre marché. Par analogie, je désigne ici par « forclusion », la capacité de l’Etat et de ses administrations d’affecter par leurs comportements (discours et pratiques législatives et réglementaires) la cause de l’habitat des personnes en situation de handicap, en privilégiant une modalité d’habitat, à savoir ce qui est désigné par « habitat inclusif ».

Si l’habitat inclusif désigne une catégorie d’action publique, l’habitat « tout court », plus largement, désigne, d’abord et avant tout un référentiel de valeurs et de principes, ayant pour finalité que des personnes (en situation de handicap ou âgées) vivent chez elles, dans la cité et puissent choisir leur mode d’habitat. Une définition, une conception qui s’appliquent à tous les lieux où vivent, où vivront à un moment donné de leur vie, ces personnes. Ce qui comprend donc aussi les établissements médico-sociaux. Cette approche de l’habitat « tout court » sous-tend une démarche impliquant de réfléchir, de penser avec les personnes concernées ce qu’habiter chez elles et dans la cité veut dire pour elles. Ce qui induit également, l’horizon d’une pluralité de formes possibles, sur chaque bassin de vie, afin qu’existe celle qui correspond le mieux à un moment donné de leur vie aux besoins et aspirations de telle ou telle personne (ce qui contredit toute idée de modèle, j’y reviendrais).

Il existe une opposition entre ces deux définitions entre ces deux approches. Entre d’une part, une démarche de création d’une catégorie administrative supplémentaire, qui ne doit pas être médico-sociale, mais qui est pourtant défini au sein du Code d’Action Sociale et des Familles ; et, d’autre part, une démarche de transformation profonde de notre façon de répondre à la question des souhaits, des besoins et aspirations des personnes en situation de handicap pour habiter chez elles et dans la cité.

Et je crois vraiment que penser l’évolution de l’offre médico-sociale dans une perspective d’habitat, mérite un peu plus, mérite un peu mieux que de la penser d’abord en termes de catégories technico-administratives.

A contrario d’une approche technico-administrative, que suggère si fortement la politique dite de l’habitat inclusif, je pense qu’un des enjeux de l’évolution de l’offre médico-sociale est de faire le pari de l’habitat. Le pari d’une démarche qui engage une réflexion sur les conditions du libre choix du mode d’habitat des personnes en situation de handicap et sur les qualités désirables de cet habitat. 

Ce libre choix est conditionné, notamment, par l’existence d’une diversité de formules d’habitat sur un territoire, afin qu’il ne soit pas un choix par défaut, mais selon un consentement véritable de la personne (et éventuellement de ses proches) : condition pour que la formule d’habitat choisie convienne aux besoins et aus aspirations des personnes concernées, saisis à un moment donné de leur vie.

Selon cette approche dite de l’habitat « tout court », les promoteurs de projets s’attachent à̀ « inventer » leur propre solution. L’expérience montre que ce processus d’« invention » d’une formule d’habitat permet, d’une part, de mieux répondre aux besoins et aux attentes des personnes concernées (par opposition à̀ la reproduction d’une formule existante à laquelle les personnes devront s’adapter) ; et, d’autre part, s’accompagne d’un processus de partenarial local, qui est une condition de la pérennité de la formule d’habitat qui sera réalisée. 

Cette façon de réfléchir l’invention de solutions d’habitat permet également de penser l’amélioration des conditions de l’habiter au sein des établissements médico-sociaux, qui doivent demeurer un mode possible d’habitat. Pour peu qu’il soit librement choisi et qu’il propose un véritable « chez-soi ».

Quelques mots si vous me le permettez sur le « chez-soi

Car l’ambition à laquelle devrait concourir les formules d’habitat destiné aux personnes en situation de handicap est bien celle d’imaginer, d’élaborer et de mettre en oeuvre de tels « chez-soi » pour et avec les personnes handicapées. 

Autrement dit, d’admettre qu’il ne s’agit pas simplement de proposer de nouveaux modes d’hébergement, mais bien de contribuer à rendre effective l’esprit de la loi du 11 février 2005. C’est à dire de contribuer, par ce moyen qu’est l’habitat, à inscrire les personnes handicapées au centre du pacte républicain, non comme une marge méritant compassion, mais comme des personnes ayant les mêmes droits que les autres, comme le suggérait Julia Kristeva lors des réflexions préparatoires à cette loi.

Au moins trois dimensions peuvent être mobilisées pour circonscrire un habitat, même si elles ne le définissent pas totalement, mais peuvent servir utilement à l’évaluation de son effectivité : l’intimité, la clôture et le gouvernement de son temps. Ces trois dimensions constituent des repères pour différencier le fait d’être hébergé ou de celui d’habiter.

Le « chez-soi » est d’abord et peut-être avant tout, le lieu de l’intimité. Ce sentiment d’intimité advient au travers de la possibilité de l’appropriation de son espace (on le meuble, on le décore, on le range... ou non, à sa façon, on y construit un paysage personnel d’objets). Mais pour que cet espace devienne véritablement le lieu de l’intime, il doit pouvoir être également celui de ses secrets, de sa vie familiale et domestique, de ses arrangements privés. Faire de ce chez soi, un lieu de l’intime est ce qui fait que le moi peut s’y recueillir, condition, nous dit Levinas, pour que l’Homme puisse se tenir dans le monde, à partir d’une demeure où il puisse s’y retirer...

La clôture est également nécessaire pour qu’existe un chez-soi, car le chez-soi a à voir avec le sentiment de sécurité. Être chez soi nécessite, en conséquence, de pouvoir contrôler qui peut y entrer (on accueille qui l’on souhaite chez soi, on en interdit l’entrée à d’autres et certains ne seront reçus que sur le seuil, etc.). Mais la clôture, qui est matérialisée par la porte, dont Georg Simmel nous a dit qu’elle est aussi la jointure entre l’espace de l’homme et ce qui lui est extérieur, doit pouvoir être franchie par son occupant. La possibilité d’ouvrir sa porte et de pouvoir la franchir, distingue l’hospitalité de la prison. Possibilité qui, quand on observe certaines formules d’habitat dite inclusif ne semble pas toujours aller de soi... 

Le chez-soi, enfin, est le lieu où l’on peut gouverner son temps. Gouverner son temps est une des conditions de la maîtrise de son intérieur, mais aussi de sa manière subjective d’habiter. C’est aussi une des raisons importantes pour lesquelles les personnes en situation de handicap aspirent à habiter chez elles alors qu’elles habitent dans leur famille ou dans un établissement médico-social où leur temps est pour partie décidé et organisé par d’autres...

Ces trois conditions constituent la possibilité d’une conscience d’habiter en intimité avec soi-même, ainsi que la possibilité d’un espace de connaissance de soi, de ses capacités et de ses responsabilités. Reprenant une réflexion empruntée à Jean-Christophe Bailly, on peut affirmer que la maison, le chez-soi, ainsi précisés, n’est pas le repli, même si elle peut et doit pouvoir le rester. La maison, le chez-soi est aussi l’unité d’un possible déploiement pour celui ou celle qui l’habite, l’unité d’un possible devenir citoyen et le lieu à partir duquel un nouveau champ des possibles s’ouvre... Car, comme le souligne si justement Mona Chollet, citant l’architecte américain Christophe Alexander, si une personne ne dispose pas d’une territoire propre (ce chez-soi dont il vient d’être esquissé les conditions d’effectivité), attendre d’elle qu’elle apporte une contribution à la vie collective revient à attendre d’un homme qui se noie qu’il en sauve un autre.

Mais revenons à l’argumentaire de mes conclusions et notamment à celle-ci : Il n’existe pas de modèle (même au pluriel) et c’est tant mieux.

Pourtant, la politique de l’habitat inclusif tend à en privilégier un : celui de l’« l’être-à-plusieurs », de la « vie sociale et partagée entre soi », comme mode de vie.

Et de Cornelius Castoriadis, nous avons appris que toute rationnalité s’origine essentiellement dans des significations sociales qui font devenir telle forme de rationnalité comme adéquate à ses fins. Autrement dit, qu’un imaginaire, comme puissance anonyme, collective et immotivée est toujours à l’origine des formes de vie que l’on considère comme rationnelle ou fonctionnelle. 

On peut (et peut-être même doit-on) légitimement s’interroger sur cet imaginaire dans lequel et par lequel s’origine cette politique publique de l’habitat inclusif.

Et facilement s’accorder sur le fait que cet imaginaire soit hanté (et sans doute strucuré par) la crainte de l’isolement des personnes concernées par ces propositions de modes de vie. J’en veux pour preuve le rapport « Demain, je pourrais habiter chez vous » qui, dès son introduction, précise que les propositions visant à promouvoir une stratégie de développement de l’habitat inclusif sont adossées à « trois grands mouvements de société bien établis », dont l’un est formulé de la façon suivante :

 "la montée en puissance des situations d’isolement et leur cortège de conséquences psychologiques, sociales et de santé (...) Et les auteurs de ce rapport ne sont pas loin de penser que l’isolement (la solitude subie) sera peut-être un jour, en même temps que l’accès au logement et étroitement lié à lui, le sixième risque de la protection sociale".

Mais, ainsi défini par l’article 129 de la loi Elan, la « vie sociale et partagée » ne constitue pas un modèle, au sens d’un prototype destiné à une duplication en série, mais à un mode vie parmi d’autres modes de vie possibles. Bien que dans le cadre de la politique publique actuelle, il soit considéré ainsi. Dans la lettre de mission du premier ministre à messieurs Piveteau et Wolfrom qui donna lieu à ce rapport sur l’habitat inclusif, il leur était demandé de faire décoller de façon plus dynamique et plus structurée qu’aujourd’hui les propositions d’habitat inclusif.

Comme on s’accordera, je pense, sur le fait qu’un mode de vie privilégiant une « vie sociale et partagée » n’est pas le seul moyen d’éviter l’isolement social.

Si un tel mode de vie peut convenir aux besoins et aux aspirations de personnes en situation de handicap à un moment donné de leur vie, d’autres besoins et d’autres aspirations à habiter existent pour peu qu’on les travaille avec les personnes concernées. C’est en ce sens, qu’il n’existe pas de modèle, mais toujours des solutions singulières, compte tenu qu’une formule d’habitat est toujours un agencement singulier entre des besoins et des aspirations, un territoire lui aussi singulier (c’est à dire un certain environnement paysager et social) et des acteurs, eux-mêmes singuliers (architecte, promotuer, bailleur, etc.). ce que dans « Le pari de l’habitat » j’avais nommé un « bricolage social local ».

Un dernier point, et ce sera ma conclusion des conclusions, concernant le rôle possible du « médico-social dans cette évolution du mode d’habiter des personnes handicapées

A mon sens, de par leurs connaissance de l’accompagnement des personnes handicapées, les associations gestionnaires de services et d’établissements médico-sociaux constituent un acteur déterminant dans l’évolution des modes d’habitat des personnes handicapées. 

A la fois parce qu’elles sont doublement sollicitées : par les pouvoirs publics qui les enjoignent de transformer leur offre (plan d’action « ambition transformation 2019-2022) et par les personnes qu’elles accompagnent et/ou hébergent, dont certaines d’entre elles aspirent à d’autres façons d’habiter. 

Et que leurs savoir-faire, exercés vraisemblablement selon des formes nouvelles, seront nécessaires à l’accompagnement des personnes dans leurs nouveaux modes d’habiter. 

L’observation montre que ces associations s’emparent de cette question avec l’intérêt qu’elles portent aux personnes qu’elles accompagnent et dont elles entendent les aspirations à un autre mode d’habiter de certaines d’entre elles. Mais aussi, dans une certaine expectative. Expectative due, parfois, à certaines maladresses des discours de leurs tutelles, discours dans lesquels elles lisent une finalité d’abord comptable : « l’accompagnement en milieu ordinaire peut coûter moins cher que l’institutionnalisation », mais aussi à l’idée que l’on se dirigerait vers la fermeture des établissements médico-sociaux en écho aux interventions de la rapporteure spéciale de l’ONU sur les droits des personnes handicapées. 

Mais au delà de ce sentiment, par ailleurs diversement partagé selon les associations, deux points « handicapent » (on l’espère provisoirement), la possible contribution de ces associations gestionnaires dans la proposition de nouveaux modes d’habiter. Le premier est une interrogation partagée avec de nombreux directeurs et chefs de service sur le « comment faire ». Car c’est bien, en effet, une question de méthode et de savoir-faire qui semble faire défaut quand ils envisagent d’autres modes d’habitat. Les reconfigurations organisationnelles successives qu’ont connu le secteur, orientées de plus en plus vers une « bonne gestion », semblent bien avoir obérer les compétences d’inventivité et de créativité à l’origine de la plupart d’entre elles. Et les laissent, pour la plupart (momentanément) en réflexion, en souhait de faire aussi, mais sans parvenir à concrétiser de façon significative une proposition de solutions alternatives. Les expériences montrent cependant qu’un accompagnement à la mise en œuvre de ces démarches permettent à certaines d’entre elles de répondre aux aspirations des personnes qu’elles accompagnent. Ce qui milite pour qu’elles se dotent d’équipes « ressource » en ingénierie de projets.

Le second point, rarement énoncé publiquement, et qui apparaît particulièrement « handicapant » pour cette question est celui du patrimoine des associations. 

Quand elles sont propriétaires ou locataires de très longue durée des établissements où sont hébergées les personnes handicapées, cette donnée pèse, inconsciemment on non, sur la réflexion concernant d’autres modes d’habitat possibles. 

Soit qu’il s’agisse de conserver l’usage d’un bien dont on imagine mal comment le revendre ou lui trouver une autre destination, soit que la culture « de la gestion en bon père de famille » qui pré-existe conduise à promouvoir des solutions d’habitat dont l’association sera propriétaire. 

Il s’agit là d’un point mal pensé, mal connu qui, pour sa part, fait obstacle à l’émergence de formules d’habitat initiée par les associations du médico-social et qui mériterait une réflexion conjointe entre pouvoirs publics et ces associations. 

 


1  Le lecteur curieux pourra trouver une première explicitation de cette notion dasn l’article de David Encaouca : Pouvoir du marché, stratégie et régulation. Les contributions de Jean Tirole, HAL, 2014, pages 13-14

2 octobre 2021

Dis moi comment tu questionnes tes concitoyens et je te dirai quel est pour toi le nom de l'habitat inclusif...

C'était dans l'Allier où une association avait eu la gentillesse de m'inviter à venir réfléchir ensemble sur l'habitat. Une des participantes avait trouvé, le matin même, dans sa pharmacie, un questionnaire, rédigé par les services du Département de l'Allier, "exclusivement destiné aux personnes âgées, aux personnes handicapées et tout autre public voulant intégrer un habitat inclusif" et avait eu la bonne idée de nous le partager. Soir 45 questions fermées et une dernière "ouverte", à déposer, une fois renseignées à la Mairie. 

Pour avoir enseigné de longues années les méthodes des sciences sociales, je m'interrogeais d'abord sur le choix du questionnaire pour recueillir les besoins et les aspirations des personnes supposées concernées par ce sujet. Le questionnaire, pour être pertinent, devant être réservé à des domaines bien circonscrits, concernant des faits ou des réponses n'impliquant pas de problèmes d'attitudes, ou d'opinions, trop complexes. Et j'avoue n'être pas certain que penser à son mode d'habiter puisse être considéré comme tel. Et comme je l'ai répété de nombreuses fois à des étudiants, un questionnaire en apprend plus sur celui qui a rédigé le questionnaire que n'en apportent les réponses. Ce questionnaire-là n'ayant pas dérogé à cette règle.

On passera sur les deux premiers thèmes du questionnaire visant à identifier la personne répondant à ce questionnaire (questions 1 à 13) et à connaître les "aides sociales" dont elle bénéficie (questions 14 à 21), pour se concentrer sur celui consacré à l'habitat inclusif (questions 22 à 45). S'adressant à des personnes souhaitant intégrer un habitat inclusif, à aucun moment cependant, cette formule d'habitat n'est précisée, comme s'il était évident que, désormais chacun sache de quoi il est question sous ce terme. Et pourtant, il est demandé (question 27) si la personne questionnée "envisage d'intégrer un habitat inclusif". D'autres questions (24 et 26) semblent paradoxalement s'adresser à des personnes habitant actuellement en habitat inclusif, dès lors que sont demandés les points négatifs qu'elle aurait noté en habitat inclusif ou comment elle juge le niveau d'animation de l'habitat inclusif.

Afin de cerner les besoins et les aspirations des personnes voulant intégrer un habitat inclusif, il est demandé avec quel type de public on souhaiterait cohabiter (question 33), ce qui laisse supposer au passage que la "cohabitation" serait le mode d'habitat retenu (alors qu'il n'est qu'un mode possible, parmi d'autres) ; ainsi que les activités que l'on souhaiterait y suivre (question 35), ce qui laisse supposer là encore que ce mode d'habitat prévoit la proposition d'activités ; et ce que l'on souhaiterait faire pour améliorer sa vie sociale au sein de l'habitat inclusif (question 43) pour lequel on suggère "voir sa famille ou ses amis plus souvent", ce qui suggère que l'habitat inclusif serait susceptible d'accroitre l'intensité des relations amicales et familiales. Comment ? Cela reste un mystère.

Au fond, que retenir d'un tel questionnaire ? 

Que comme souvent, cela part d'une bonne intention : tenter de mieux connaître les besoins et les aspirations de ses concitoyens en matière d'habitat. Mais que, comme trop souvent, la méthode retenue n'est pas pertinente. Cerner les besoins et les aspirations en matière d'habitat nécessite de privilégier une approche qualitative, retenant le bassin de vie comme périmètre d'étude. Ce qui pourrait se concrétiser par le biais de la constitution et de l'animation d'espaces de dialogue entre les personnes concernées et les acteurs institutionnels, pratiquent alors une construction conjointe de l'offre te de la demande d'habitat, d'où émergera la conception des habitats souhaités. 

Il montre aussi ce que j'ai désigné par l'effet de forclusion qu'opère l'habitat inclusif sur la question fondamentale de l'habiter des personnes âgées et de celles en situation de handicap. L'habitat inclusif n'est qu'une forme possible d'habitat pour ces personnes, certes fortement (et sans doute exagérément) valorisée par le discours et la politiques publiques. En centrant l'interrogation exclusivement sur l'habitat inclusif, on obère nombre de besoins et d'aspirations de ces personnes qui ne seraient trouver satisfaction dans les formules d'habitat inclusif.

25 avril 2021

L’habitat inclusif, un enjeu sociétal qui se joue notamment dans la question de sa définition.

Intervention dans le cadre du point d’étape de l’instance ressource pour l’habitat inclusif, mis en oeuvre par le Département de Loire-Atlantique, le 23 avril 2021.

Une idée peut en cacher une autre...

La demande qui m’a été faite, aujourd’hui, concerne la définition des termes que l’on emploie pour nommer ce que nous avons à partager et, parfois, à mettre en oeuvre ensemble. En se remémorant l’idée que les mots sont bien plus que l’habillage d’une pensée mais qu’ils en sont les outils. Car c’est vrai que d’une certaine façon, il en va aujourd’hui des mots comme autrefois des trains aux passages à niveau : sur les rails de la langue, une idée peut en cacher une autre, alors autant y regarder à deux fois avant de traverser la voie. Et les mots sont comme du métal, ils sont forgés très vite et la collision, parfois, ne pardonne pas...

Avant de s’emparer de l’examen du terme « habitat inclusif », arrêtons-nous un instant, afin d’illustrer ce qui précède sur celui de « sociétal ». Mot qui figure dans le titre mon intervention et dont je me dédouane, un peu lâchement, certes, puisque je n’ai pas choisi ce titre...

On peut ainsi légitimement s’interroger pour savoir pourquoi désormais on préfère le mot « sociétal » à celui de « social » ? Pourquoi ce néologisme, mal formé, s’impose au point que même certains praticiens des sciences sociales acceptent d’abaisser le seuil ordinaire d’acceptabilité en matière de langage ? 

Une réponse possible nous ramène à mon histoire de train : c’est qu’une idée peut en cacher une autre. Le sociétal, c’est le social sans le conflit, le social moins les inégalités, le social moins le déséquilibre des rapports entre groupes et classes sociales au sein d’une société donnée, au fond, le sociétal est au social, ce que la gouvernance est au gouvernement...

Soit une façon de lisser la réalité, de rabattre la politique sur l’éthique et de faire exister, sous l’apparence d’un euphémisme ou d’une savante construction, l’expression doucereuse d’un cynisme d’époque...

 Le terme d’« habitat inclusif » phagocyte celui d’habitat... tout court

Pour revenir à ce qui nous réunit aujourd’hui, le terme d’habitat inclusif n’échappe pas à ces constats, particulièrement de celui qu’une idée peut en dissimuler une autre. Il existe, désormais, une définition législative et réglementaire de l’habitat inclusif, issu d’un cheminement politico-administratif qui va du Comité Interministériel du Handicap de décembre 2016 définissant une « Démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif pour les personnes handicapées », en passant par l’article 129 de la loi ELAN, suivi d’un décret, d’un arrêté qui définit un cahier des charges, ainsi que d’un lancement d’un appel à projets par les Agences Régionales de Santé, pour financer un forfait pour la vie sociale et partagée, jusqu’au récent dispositif de l’Aide à la Vie Partagée (AVP) dont les modalités de mises en oeuvre entre la CNSA et les Départements volontaires à expérimenter une phase dite « starter », se finalisent actuellement. 

Selon cette définition, l’habitat inclusif est donc un dispositif juridique et budgétaire qui circonscrit un petit ensemble de logements indépendants, comprenant des espaces communs et une forme de régulation de la vie sociale et partagée.

Mais cette définition est celle d’une catégorie d’action publique qui opère la forclusion de la notion d’habitat dans celle d’habitat inclusif. Empruntée à l’économie, et par analogie, on peut dire que le terme de forclusion désigne la capacité d’une idée communiquée par un certain pouvoir (ici le pouvoir législatif et réglementaire) de phagocyter, autrement dit d’absorber, une autre idée. Autrement dit, cette définition législative et réglementaire d’« habitat inclusif » est en train d’absorber celle d’habitat tout court...

L’habitat qui se définit, alors, d’abord et avant tout, comme un référentiel de valeurs et de principes, avec pour finalité que ces personnes (en situation de handicap ou âgées) vivent chez elles, dans la cité et puissent choisir leur mode d’habitat. Une définition, une conception qui s’appliquent à tous les lieux où vivent, où vivront à un moment donné de leur vie, ces personnes. Ce qui comprend donc aussi les établissements médico-sociaux. Une définition qui sous-tend une démarche impliquant de réfléchir, de penser avec les personnes concernées ce qu’habiter chez elles et dans la cité veut dire pour elles. Ce qui induit également, l’horizon d’une pluralité de formes et de formes possibles, sur chaque bassin de vie, afin qu’existe celle qui correspond le mieux à un moment donné de leur vie aux besoins et aspirations de telle ou telle personne.

Il existe donc réellement une opposition entre ces deux définitions, entre d’une part, une démarche de création d’une catégorie administrative supplémentaire et, d’autre part, une démarche de transformation profonde de notre façon de répondre à la question des souhaits, des besoins et aspirations des personnes en situation de handicap et des personnes âgées pour habiter chez elles et dans la cité.

Ce libre choix est conditionné, notamment, par l’existence d’une diversité de formules d’habitat sur un territoire, afin qu’il ne soit pas un choix par défaut, et par consentement véritable de la personne (et éventuellement de ses proches) : condition pour que la formule d’habitat choisie convienne aux besoins et aus aspirations des personnes concernées, saisis à un moment donné de leur vie.

J’évoquais en introduction l’idée que les mots sont bien plus que l’habillage d’une pensée, mais qu’ils en sont les outils. On pourrait ajouter que la pensée est l’outil nécessaire à l’action. Alors, si l’on retient pour définition celle d’une démarche de transformation profonde de notre façon de répondre aux souhaits de nos concitoyens âgés ou en situation de handicap d’habiter chez eux et dans la cité, comme nous invite, je crois, le Département de Loire Atlantique au travers de cette instance ressource, la condition principale de l’effectivité de cette démarche réside dans la méthode. Celle pour élaborer et réaliser les projets d’habitat, mais aussi celle des politiques publiques pour accompagner le développement de ces formules d’habitat.

Une méthode d’élaboration des projets d’habitat

Pour ce qui concerne la méthode d’élaboration et de réalisation de ces projets d’habitat, la première question à se poser est celle de savoir si on les réalise pour ces personnes ou bien avec elles ? 

Autrement dit, va-t-on adosser ces projets d’habitat à un travail d’élaboration, d’échanges et de confrontations de points de vue entre les promoteurs de ces projets et les futurs habitants ? Ou bien va-t-on reproduire des dispositifs existants, éventuellement aménagés à la marge ou des formules d’habitat que l’on a visitées et qui semblaient « bien fonctionner ». 

Faire avec les futurs habitants nécessite d’organiser des espaces et du temps pour mettre en discussion, en débat, en confrontation, cette question d’habitat, à la fois pour une nécessaire élaboration conjointe des formules d’habitat avec les personnes concernées, mais également avec tous les acteurs impliqués, de près ou de loin, par cette question, tant elle bouscule notre culture de la « prise en charge » des personnes, telle qu’elle s’est développée particulièrement en France. 

§ Des espaces et des temps pour les proches et les parents, afin qu’ils puissent considérer sereinement leur conception de la protection et de la sécurité de leurs descendants ou de leurs parents.

§ Des espaces et des temps pour les professionnels de l’accompagnement, afin qu’ils puissent reconsidérer leurs pratiques et leurs postures professionnelles.

§ Des espaces et des temps pour les professionnels de l’habitat (architecte, promoteurs, bailleurs), afin qu’ils puissent intégrer les agencements d’espaces et les équipements nécessaires dans leurs programmes immobiliers.

§ Des espaces et des temps pour les professionnels et les élus des collectivités, ainsi que les professionnels des agences régionales de santé (ARS) et des Départements, afin qu’ils puissent affirmer une doctrine sur cette question de l’habitat. C’est une nécessité pour ces acteurs institutionnels, notamment quand on songe que dans des appels à manifestation d’intérêt proposés par des ARS, visant à soutenir l’ingénierie de projets d’habitat inclusif, on peut encore y lire comme finalité « la création de places dans des logements ordinaires »... Une finalité dont il faut souligner la dimension pour le moins « oxymorique », révélant, une nouvelle fois, la confusion d’horizons qui enchâsse la question de l’habitat des personnes en situation de handicap. 

Par opposition à une approche technico-administrative, que suggèrent les politiques actuelles, une telle démarche engage une réflexion sur les conditions du libre choix du mode d’habitat des personnes en situation de handicap et sur les qualités désirables de cet habitat. 

Ce libre choix est conditionné, notamment, par l’existence d’une diversité de formules d’habitat sur un territoire, afin qu’il ne soit pas un choix par défaut, et par consentement véritable de la personne (et éventuellement de ses proches) : condition pour que la formule d’habitat choisie convienne aux besoins et aus aspirations des personnes concernées, saisis à un moment donné de leur vie.

De cette manière, les promoteurs de projets s’attachent à̀ « inventer » leur propre solution. L’expérience montre que ce processus d’« invention » d’une formule d’habitat permet, d’une part, de mieux répondre aux besoins et aux attentes des personnes concernées (par opposition à̀ la reproduction d’une formule existante pour laquelle les personnes devront s’adapter) et, d’autre part, s’accompagne d’un processus de partenarial local, qui est une condition de la pérennité de la formule d’habitat qui sera réalisée. 

Cette façon de réfléchir l’invention de solutions d’habitat permet également de penser l’amélioration des conditions de l’habiter au sein des établissements médico-sociaux, qui doivent demeurer un mode possible d’habitat. Pour peu qu’il soit librement choisi et qu’il propose un véritable « chez-soi ».

Une méthode pour les politiques publiques ?

Les méthodes des politiques publiques mises en œuvre par l’État et ses services, par les collectivités locales et territoriales et les agences régionales de santé, et visant à accompagner et, si possible, à faciliter la réalisation de ces formules d’habitat, sont également déterminantes. Par analogie et par acquis des enseignements de la politique de la ville, on peut souligner la nécessité pour l’État et ses services d’abandonner (ou tout au moins de minimiser) son rôle « normalisateur », qui définit par la loi et le règlement ce qui est permis, autorisé ou, au contraire, interdit. Pour plutôt lui substituer un rôle d’« animateur » qui ouvre et anime une scène locale de débat public, où il s’agit moins de consulter les citoyens concernés avant les décisions, que de les impliquer dans la mise en œuvre des orientations définies.

Le principal reproche, en effet, que l’on puisse faire à l’approche »normalisatrice » est qu’elle fait l’imapsse sur l’essentiel des besoins et des aspirations d’habitat des personnes handicapées et des personnes âgées, aujourd’hui non ou mal sarisfaits.

Cette « impasse » est due, notamment, à l’écart qui existe entre la connaissance qu’ont les institutions1 des mondes sociaux et la réalité des mondes vécus (des mondes de la vie) des personnes concernées. Cette connaissance qu’ont les institutions, notamment des personnes handicapées, s’incarne, en effet, dans des règles, des procédures et des instruments de formalisation, issus bien souvent du droit, qui sont de ce fait, porteurs de savoirs abstraits et généraux sur les comportements des acteurs ou les ensembles sociaux sur lesquels ils entendent agir2. Et si leurs instruments de rationalisation, qu’ils soient comptables ou gestionnaires, en tant que catégories d’entendement, sont porteurs de sens, ce sens demeure abstrait et général...

Cette distorsion des connaissances nécessite, si l’on veut que des compromis rationnels soient possibles entre ces institutions et les « mondes vécus », qu’existent des espaces de discussion3 qui vont permettre des conditions d’inter-compréhension et une mobilisation subjective des personnes concernées dans cette confrontation. C’est au travers de tels processus itératifs d’énonciation, d’explicitation des demandes sociales et de qualification des besoins et des aspirations d’habitat que pourront être réintroduits les personnes en situation de handicap comme sujets de l’élaboration de ces solutions. 

Dans une telle perspective de co-élaboration de l’offre et de la demande d’habitat, les solutions d’habitat ne se « calquent » plus sur les ressources propres des promoteurs de projets, largement déterminées par les prescriptions réglementaires ou sur leurs représentations de ce que serait ou devrait être un « bon » habitat. Elles se fondent avant tout sur les perceptions de ce qui « dysfonctionne » ou « malfonctionne » dans les mondes vécus des personnes concernées, tout en orientant les « inventions » nécessaires à la réalisation de ces solutions d’habitat.

De tels processus ont pu être mis en œuvre, au cas par cas, pour la réalisation de certaines des initiatives qui se sont multipliées depuis une quinzaine d’années. Mais il convient désormais, dans une perspective de déploiement de ces solutions d’habitat, de proposer des modalités de régulation collective, territoriale et contractuelle de ces modes de construction. Il s’agit de mettre en jeu les multiples acteurs parties prenantes de la question de l’habitat (y compris les personnes concernés), afin qu’ils s’entendent sur les règles de développement de ces formules d’habitat, leur définition et leur organisation et ce, sur un territoire qu’ils estiment cohérents (un Département, une métropole, une agglomération...). La réussite de telles démarches repose sur la légitimité de celui ou celle qui va la piloter. Et sur sa capacité à maîtriser les relations avec l’environnement (l’ensemble des systèmes socio-politiques et institutionnels du territoire), afin que s’organise un échange permanent entre les acteurs de la construction de ces solutions et leur environnement.

Mais si cette démarche esquisse les contours de ce que pourrait être une « politqiue de l’offre », il n’en reste pas moins nécessaire de développer simultanément une « politqiue de la demande ». Il n’existe, en effet, actuellement, pas ou peu de lieux pouvant répondre (ou seulement de manière partielle quand ils existent) à une personne en situation de handicap ou âgée et/ou des proches qui expriment un besoin et une aspiration à habiter autrement que dans leur famille ou en institution. La « Maison de l’Habitant », qui existe, ici à Nantes, pour donner un conseil complet et personnalisé sur le logement à la population, pourrait être mobilisée sur ce sujet de l’habitat des personnes en situation de handicap et des personens âgées, afin de répondre et les accompagner dans leurs demandes.

J’en arrête là. Après ces quelques repères que je voulais vous livrer aujourd’hui sur l’habitat comme enjeu de société (et non sociétal), qui se joue notamment, aussi, au travers de la question de la définition des termes que l’on emploie et qui sont, vous l’aurez peut-être retenu, un peu comme les trains...


1  Il s’agit des instances, par ailleurs fort nombreuses et fragmentées, de la gouvernance de la politique du handicap, qu’elles soient nationales (DGCS, CIH...) ou plus territoriales (ARS, MDPH...).

2  Cette impersonnalité étant la garantie de la neutralité des organisations bureaucratiques, affirmait Max Weber.

3  Au sens que lui donne Jürgen Habermas, comme le lieu dans lequel les idées circulent et sont discutées de manière rationnelle.

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Publicité