Colloque URIOPSS des Pays de Loire : "De l'habitat inclusif à l'habitat autrement ?
Quelques éléments de contexte
S’il agit de qualifier le contexte dans lequel se pose la question de l’habitat des personnes handicapées et des personnes âgées que la journée d’aujourd’hui propose d’interroger, sans doute faudrait-il inverser les termes du titre qui a été choisi...
Et affirmer que le mouvement de l’histoire semble putôt celui qui conduit de l’habiter autrement vers l’habitat inclusif...Tant ce mode d’habitat, dénommé « habitat inclusif », porté par une politique publique, pour le moins offensive, semble avoir forclos cette question d’habitat. Autrement dit, affirmer que l’Etat et ses administrations ont transformé cette question de l’habitat par leurs discours et pratiques réglementaires et législatives, en privilégiant une modalité, parmi d’autres possibles, une modalité d’habitat adossée à la notion de « vie sociale et partagée ».
L’Etat et ses administrations ont transformé la question-problème que l’on pourrait formuler ainsi : « comment favoriser le choix d’un mode de vie qui convient le mieux aux besoins et aux aspirations d’une personne handicapée ou d’une personne âgée à un moment donné de sa vie », en une (LA ?) solution imaginée à partir de catégories d’action publique déjà identifiées, comme les pensions de familles ou les résidences-accueil par exemple, en les rénommant et en les réaménageant à la marge... Autant dire passer de l’habiter autrement à l’habitat inclusif.
Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, un rapide retour historique s’impose. Rapide parce qu’il s’agit simplement de vous remettre en mémoire ce que la plupart d’entre vous connaissent déjà.
Tout d’abord, rappelons-nous qu’il existe un avant « habitat inclusif »...
Avant que de nommer une catégorie d’action publique, les termes d’« habitat inclusif » sont apparus, tout au moins dans le discours public, lors d’un colloque organisé à Paris, en mai 2016, par l’Association des Paralysés de France (APF), un colloque intitulé précisément « Colloque habitat inclusif ».
Un « habitat inclusif » présenté alors comme devant « favoriser l’exercice de la citoyenneté́ et prendre en compte l’environnement de la personne ; et nécessitant pour cela de dépasser le cadre actuel du secteur médico-social ».
Antérieurement à cette dénomination, de nombreuses initiatives s’étaient multipliées depuis une quinzaine d’années, portées par les personnes handicapées ou des personness âgées elles-mêmes, par leurs proches ou bien par des associations qui, gérant des établissements et services médico-sociaux, souhaitaient répondre aux aspirations à un autre mode de vie des personnes qu’elles accueillaient ou accompagnaient.
Des initiatives que j’ai qualifié dans un ouvrage (Le pari de l’habitat) de « bricolage social local », pour montrer leur dimension d’ « invention », celle de leur intégration à un tissu local et d’agencements de solutions partenariales. Des initiatives qui se proposaient de créer les conditions pour que ces personnes vivent chez elles et dans la cité et ce, en agençant des dispositifs de droit commun (logement, modalités de location, services et modalités d’accompagnement des situations de vie et de handicap, etc.).
Les dimensions souvent protéiformes de ces réalisations s’affrontaient à des obstacles juridiques et administratifs qui faisaient de l’élaboration de ces solutions de longs parcours du combattant, laissant les promoteurs de projets épuisés et parfois défaits.
C’est à la demande de ces promoteurs de projets que les pouvoirs publics se sont progressivement emparés de cette question afin de tenter de lever les principaux obstacles qu’ils pouvaient être amenés à rencontrer.
La tenue du Comité Interministériel du Handicap du 2 décembre 2016, à Nancy constitue sans aucun doute le premier acte politique de cette prise en compte des obstacles rencontrés par les promoteurs de ces projets d’habitat. Comme il signe l’origine de la création de la catégorie d’action publique « habitat inclusif ».
De ce CIH sont, en effet, issus les premiers éléments structurant la doctrine de l’habitat inclusif au travers d’un texte intitulé « Démarche nationale en faveur de l’habitat inclusif pour les personnes en situation de handicap ».
Une définition de l’habitat inclusif y est proposée au travers de trois caractéristiques :
1° L’habitat inclusif repose sur une organisation qui fait du lieu d’habitation de la personne en situation de handicap son logement personnel, son « chez soi »,
2° L’habitat inclusif conjugue, pour la personne en situation de handicap, la réponse à̀son besoin de logement et la réponse à̀ses besoins d’aide, d’accompagnement et, le cas échéant, de ce qu’il est convenu d’appeler la « surveillance »,
3° L’habitat inclusif vise toujours, en prenant en général appui sur la vie organisée à plusieurs, une insertion active dans le voisinage, la vie de quartier, l’environnement de proximité.
Le texte précise la stratégie nationale proposée pour aider au développement de ces formules, au travers de douze mesures dont on peut retenir celles :
- d’installer un observatoire de l’habitat inclusif, chargé de l’animation territoriale et de la diffusion de pratiques inspirantes. En lien avec les différents acteurs, il sera chargé de la formalisation d’outils pour promouvoir le développement de formules d’habitat inclusif
- de créer une aide spécifique forfaitaire par structure d’habitat inclusif, expérimentale dans la perspective d’une généralisation. Une aide destinée à compléter les montants de la prestation de compensation du handicap des personnes vivant en habitat inclusif afin de couvrir les frais liés à la coordination, la gestion administrative et la régulation de la vie collective.
L’étape suivante est concrétisée par l’article 129 de la loi portant sur évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), complétée par la publication de l’Instruction interministérielle relative aux modalités de mise en œuvre du forfait pour l’habitat inclusif. Rappelons au passage que dans la même loi, et simultanément, on abaisserait l’obligation de 100% logements accessibles à 20% dans les constructions neuves...
Quoi qu’il soit, ce façonnage légistif et réglementaire arrime définitivement au centre de la conception de l’habitat inclusif la proposition de son financement sur une unique dimension : l’animation de la vie sociale et partagée. Privilégiant, ainsi, le développement d’un type de formule d’habitat, celle précisément proposant une dimension collective signifiante, traduit par la notion de « vie sociale et partagée » et dont l’obligation de proposer des locaux communs aux habitants, ainsi que la définition des missions de l’animateur de cette vie sociale et partagée, dont fait état l’instruction, la détermine. Un encadrement réglementaire et normatif qui tendra, ainsi, à réifier l’objet « habitat inclusif » et à faire peser le risque de circonscrire l’inventivité des promoteurs de projets qui vont, la plupart du temps, se conformer à cette « définition », afin d’espérer un financement désormais identifié.
Et pour conclure ce tour d’horizon historique, en décembre 2019, le Premier ministre, Edourd Philippe, chargeait messieurs Wolfrom et Piveteau d’une mission visant à proposer une stratégie nationale pour le déploiement à grande échelle de l’habitat inclusif, mission qui devait aboutir à la remise de leur rapport en juin 2020, intitulé : « Demain, je pourrai choisir d’habiter chez vous ». Prolongeant l’esprit de la loi ELAN, les auteurs y dessinent les contours de ce qu’ils appellent l’habitat « accompagné, partagé et inséré dans la vie locale » (API) et proposent une boîte à outils juridico-administratifs aux fins de favoriser le développement de ce type de logements.
La principale mesure (et pratiquement la seule retenue du rapport) qui y sera annoncée est l’« Aide à la Vie Partagée » (AVP), cette nouvelle prestation de l’action sociale départementale qui « est octroyée à tout résident d'un habitat inclusif dont le bailleur ou l'association partenaire a passé une convention avec le Département. Ces conventions d’AVP signées avec les Départements étant cofinancées à hauteur de 80% par la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie (CNSA), tout au moins aujourd’hui, puisqu’une dégressivité du financement de la Caisse est annoncée.
Rappelant ces éléments de contexte, suis-je en train de bannir ou de vilipender la modalité d’habitat qu’est l’habitat inclusif ?
Il n’en est rien, évidemment. Je conçois tout à fait qu’une personne en situation de handicap ou yne personne âgée puisse choisir, à un moment donné de sa vie et pour des raisons qui lui appartiennent, un mode de vie où lui soit proposé de partager des moments et des espaces en commun avec d’autres habitants.
Pour peu qu’il y dispose d’un véritable chez-soi et que ceux qui sont chargés de l’animation de cette « vie sociale et partagée » soient attentifs à ce que les habitants puissent y gouverner leur temps. Certaines réalisations, dites d’habitat inclusif mettent en oeuvre de telles qualités où l’être-à-plusieurs permet de conforter les choix des habitants, facilite leur réalisation, tout en assurant leur bien-être. Je le sais pour connaître certaines de ces réalisations et pour en avoir accompagner certaines.
Ce qui demeure problématique est que la politique publique de l’habitat inclusif impose ce mode d’habitat comme LA solution. A laquelle la plupart des promoteurs de projets d’habitat semblent consentir désormais.
Soit parce que la proposition d’un projet de vie communautaire et fraternel ou aspirant à créer une ambiance « familiale » est le modèle de ce qu’il pense être la « vie bonne ».
Soit parce qu’élus de collectivités locales, ils ont été convaincus par l’Agence nationale de la cohésion des territoires et le financement promis par le programme « Petites villes de demain », qu’il y avait là une chance pour dynamiser leur centre-ville ou centre-bourg.
Soit parce qu’ils veulent rompre avec les codes du médico-social qu’ils estiment enkystés et ainsi proposer des alternatives aux pratiques renouvelées.
Soit parce qu’ils se saisissent de ce mode de financement pour pouvoir faire exister leur projet en modifiant ce qu’il faut du projet initial pour le faire devenir habitat inclusif. Soit parce qu’ils ont saisi combien l’habitat inclusif pouvait ressembler à un produit facilement duplicable et qu’ils ont monté leur petite entreprise... qu’elle soit ou non à but lucratif.
Cette politique « est un succès », comme le répètent les ministres concernés lors des successifs comités de pilotage de l’habitat inclusif et les représentants des administrations centrales lors des séances plénières de l’Observatoire National de l’Habitat Inclusif. Tout au moins selon le score des indicateurs retenus pour l’évaluer : le nombre de Départements engagés dans la démarche (95), le nombre d’habitat inclusif ayant fait l’objet d’un financement (1850) et le nombre de personnes hébergées dans ces formules d’habitat (18500).
Cette politique est un succès, mais, au delà des nombreux freins juridico-adminsitratifs que sa mise en oeuvre affronte (et dont le dernier avatar semble bien celui de la question de la sécurité incendie), freins qui avaient pourtant bien été identifiés dans le rapport Piveteau-Wolfrom, n’a pas dégagé les moyens financiers nécessaires pour assurer les investissements et la pérennité du fonctionnement de ces habitats inclusifs, ce qui n’est pas sans poser des interrogations redondantes aux gestionnaires de ces lieux.
Cette politique est un succès, mais elle n’épuise pas les besoins et les aspirations des personnes qui souhaitent habiter autrement... A côté des formules d’habitat inclusif, il nous faut inventer et mettre en oeuvre des démarches et des réalisations qui leur conviennent, les inventer et les mettre en oeuvre, sans doute, un peu plus qu’on ne le fait avec elles, plutôt que pour elles...
Autrement dit, il faut à côté de l’habitat inclusif, inventer et mettre en oeuvre des manières d’habiter autrement...
ça tombe bien, je crois qu’il s’agit du sujet principal de cette journée qui nous réunit !